Le projet de loi sur le renseignement en France préoccupe certains élus et de nombreuses ONG internationales. Selon le défenseur des droits, Jacques Toubon, il contrevient aussi, en l’état, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. S’il peut se targuer d’avoir l’aval des deux principaux partis politiques, UMP et PS, le projet de loi sur le renseignement a déjà été fort critiqué en France. C’est désormais au-delà des frontières qu’il inquiète.
L’association Human Rights Watch s’est ainsi alarmée du projet mardi 7 avril, estimant qu’il ouvrait la porte à une société de surveillance. Parmi les biais dangereux identifiés par l’ONG, les pouvoirs accrus du premier ministre, qui pourraient autoriser des actes de surveillance répondant à des objectifs nettement plus larges que ceux prévus par le droit international, le manque de supervision de l’autorité judiciaire ou encore le manque de transparence vis-à-vis du public.
« La France se doit de faire mieux que ça, surtout si elle veut se distancier des pratiques de surveillance de masse abusives et secrètes des États-Unis et du Royaume-Uni, qui suscitent tant de contestations juridiques » a précisé Dinah PoKempner, de l’ONG.
La mise en place d’écoutes sans l’aval d’un juge a été dénoncée par le syndicat de la magistrature en France, qui rappelle la différence entre juges et policiers : les juges sont indépendants du pouvoir exécutif, contrairement aux services administratifs, comme la police.
Des écoutes sans juge
Comme Privacy Internaional, Amnesty International, la FIDH, la Ligue des Droits de l’Homme et Reporters sans frontières, l’ONG reproche à la loi son caractère vague et général. Censée légaliser les pratiques de surveillance, la loi étend de fait son champ d’action. Notamment auprès des opérateurs privés, auxquels il pourra désormais être demandé de suivre l’activité des internautes en fonction de leurs habitudes sur le Net. L’enjeu de la surveillance des sites internet faisant l’apologie du terrorisme fait déjà l’objet d’un débat. La France a décidé de « bloquer » l’accès à certains sites, après les attentats du 7 janvier en France.
Mais ce nouveau projet de loi, soutenu par les deux principaux groupes politiques, soit l’UMP et le Parti socialiste, va plus loin.
S’il est adopté, les enquêteurs et agents pourront effectuer en toute légalité des « interceptions de sécurité » portant sur les contenus des courriels et des conversations téléphoniques, uniquement s’ils sont en lien direct avec l’enquête.
Le texte prévoit aussi le recours à de nouvelles technologies permettant aux agents de poser micros, balises, caméras-espionnes partout où ils l’estiment nécessaire. Ils pourront également capter en direct de ce qui est tapé sur un clavier en temps réel.
Toutes ces écoutes et interceptions seront autorisées par le Premier ministre, sans passer par un juge mais après avis sous 24 heures d’une nouvelle autorité administrative, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
Modifié en commission le 1er avril, le texte doit être discuté mi-avril à l’Assemblée Nationale.
Le défenseur des droits s’inquiète de la conformité avec le droit international
Le défenseur des droits, Jacques Toubon, ancien ministre de la Justice, a aussi alerté le 2 avril sur les risques liés à ce texte, en citant abondamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
« La loi doit être d’une clarté et d’une précision suffisantes pour fournir aux individus une protection adéquate contre les risques d’abus de l’exécutif dans le recours aux techniques de renseignement » précise le défenseur des droits.
« Les ingérences dans le droit au respect de la vie privée sont d’une telle gravité qu’elles doivent reposer sur des dispositions claires et détaillées, d’autant que les procédés techniques se diversifient et se perfectionnent » ajoute le défenseur des droits.
La Commission nationale informatique et libertés, tout comme l’Ordre des avocats de Paris se sont inquiété de leur côté de l’absence de protection spécifique pour certaines professions comme les parlementaires, magistrats, avocats et journalistes, qui en bénéficient théoriquement en droit français et en droit européen.
Sollicitée par EurActiv, la Commission européenne s’est refusée de commenter ce projet de loi qui reste soumis à modification.