Les dissensions entre les deux principaux partis nationaux d’extrême droite du Parlement européen, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen se creusent, menaçant leur unité européenne et l’avenir de leur groupe parlementaire commun, Identité et Démocratie (ID).
Une enquête journalistique menée en début d’année a révélé que des membres de l’AfD ont soutenu l’idée d’expulser des citoyens allemands issus de l’immigration — un concept connu sous le nom de « remigration » — a ébranlé les relations entre les deux partis d’extrême droite. À la suite des révélations, Mme Le Pen avait déjà remis en question la collaboration de son parti avec l’AfD.
Les diverses tentatives du parti allemand pour apaiser son homologue français à cet égard sont restées infructueuses, le RN insistant sur le fait que l’AfD doit faire davantage pour se distancier de la proposition controversée.
« Le RN reste vigilant quant à la ligne politique de ses alliés. Nous devons donc débattre de la ligne de l’AfD en interne », a déclaré Jean-Paul Garraud, chef de la délégation du RN au Parlement européen à Euractiv France, après les récentes tentatives de l’AfD de s’expliquer.
Ni un document de position de l’AfD, dans lequel ils atténueraient le sens du terme «remigration » dans leurs programmes électoraux, ni les réunions bilatérales informelles de certains représentants au Parlement européen n’ont été en mesure de clarifier la question.
La semaine dernière, Alice Weidel, codirigeante de l’AfD, a même rencontré Marine Le Pen et Jordan Bardella à Paris pour leur expliquer en personne la position du parti sur la question — mais en vain, semble-t-il.
Selon des sources du groupe ID, les relations entre le RN et l’AfD ont été si gravement endommagées que leur coopération future est très incertaine.
Si ce conflit larvé entre les deux partis les plus influents de l’ID met en péril le groupe parlementaire lui-même, il pourrait entraîner un remaniement majeur des alliances entre les partis de droite au Parlement européen.
Rupture douloureuse
Bien que des réunions bilatérales informelles aient été organisées par certains représentants du Parlement européen, la question n’a pas encore été résolue.
Suite à la rencontre entre Mme Weidel et Mme Le Pen, le RN a insisté pour obtenir une explication écrite sur le sujet.
Thibaut François, député français du RN, a déclaré, selon les médias français, qu’un engagement écrit avait été exigé de l’AfD, stipulant que le terme de « remigration » ne ferait pas partie du programme du parti. Cependant, il est impossible pour l’AfD de respecter cet engagement, car cette terminologie est déjà utilisée dans divers programmes, tels que celui de la campagne électorale européenne.
Il semblerait que l’explication de Mme Weidel se soit perdue quelque part entre les traductions anglaises et françaises. La direction de l’AfD a dû choisir entre deux options difficiles : rédiger une déclaration claire contre la remigration et risquer un conflit avec la base du parti ; refuser de s’expliquer davantage et, par conséquent, rompre ses relations avec le RN.
Mme Weidel a envoyé lundi (26 février) à Mme Le Pen une lettre dans laquelle elle reproche aux médias d’avoir déformé le sujet et précise que les membres de l’AfD qui ont participé à la réunion sur la remigration l’ont fait en dehors du cadre de leurs fonctions au sein du parti.
« Nous examinons attentivement la lettre de l’AfD et nous en discuterons au plus haut niveau du RN », a déclaré M. Garraud à Euractiv France.
De son côté, Mme Le Pen a déclaré mercredi (28 février) à Paris que « de nombreuses questions restent sans réponse ».
Le dilemme de Marine Le Pen
Pour Mme Le Pen, qui reste la cheffe politique du RN, la terminologie utilisée « remigration » est particulièrement gênante.
En France, ce terme est employé par le concurrent direct de Mme Le Pen, Éric Zemmour, fondateur du parti d’extrême droite Reconquête!. M. Zemmour a acquis une popularité nationale en adoptant une position encore plus extrême que celle de Mme Le Pen sur l’immigration.
Lors de la campagne présidentielle de 2022, il a suggéré la « remigration » des immigrés clandestins ou des criminels, et de déchoir les délinquants de leur nationalité française s’ils en possèdent une autre.
Mme Le Pen, qui a les yeux rivés sur les présidentielles françaises de 2027, ne peut aller aussi loin et doit convaincre les électeurs que son parti est acceptable sur le plan social.
Les élections européennes de juin, considérées comme des « mid-terms français » par le RN, seront le moment le plus opportun pour aligner les affiliations de son parti sur l’orientation nationale.
Un bouleversement des alliances ?
Suite aux élections européennes, il n’est pas rare que de nouveaux groupes politiques se forment au Parlement européen et que les partis changent d’affiliation.
L’issue du quasi-ultimatum posé par le RN aura dès lors des conséquences majeures pour les futurs groupes de droite au Parlement.
Néanmoins, la capacité du RN à insister sur la clarification d’une alliance sera également déterminée par le nombre de sièges que le parti occupera après les élections européennes, ont indiqué des sources.
À l’heure actuelle, en Allemagne comme en France, les deux partis d’extrême droite sont en tête des sondages.
Les alliances européennes avec les autres partis majeurs, tels que le parti Frères d’Italie (Fratelli d’Italia) de la Première ministre italienne Giorgia Meloni et les membres du Fidesz du Premier ministre hongrois Victor Orbán, pourraient également avoir des conséquences considérables.
Mme Meloni et Mme Le Pen tentent d’ailleurs en ce moment de renforcer leurs liens, comme l’a récemment rapporté le journal Le Monde.
La cheffe française n’a pas caché ses envies d’un grand groupe de rassemblement des partis patriotes et favorables à « l’Europe des Nations ».
Quid de l’avenir des liens de l’AfD avec ses alliés nationalistes si ses relations avec un RN possiblement tout puissant après les élections se détériorent ?
Par : Kjeld Neubert | EURACTIV | translated by Marie-Alix Pocholuk