En juin 2024, les citoyens et citoyennes de l’Union européenne décideront de l’orientation que prendra l’Europe dans les années à venir, y compris en matière de politique du logement. Ainsi, lorsque les partis commenceront leur campagne au printemps, le thème du logement ne pourra pas être laissé de côté, et ce pour plusieurs raisons.
2024 est l’année où un nouveau cap sera fixé au niveau européen, décidant de la direction que prendra l’Union européenne, notamment en faveur d’un logement abordable pour tous. Le Parlement européen sera élu en juin et la nouvelle Commission européenne sera constituée en automne/hiver. Auparavant, en mars, les ministres du logement se seront réunis à Liège sous la présidence belge du Conseil de l’UE et en avril 2024, le Comité européen des régions adoptera un nouvel avis sur le logement. Le printemps est donc le moment idéal pour envoyer un signal fort en faveur d’un logement abordable en Europe et d’une politique du logement au service du bien commun. C’est l’unique façon de s’assurer que, dans la nouvelle période de mandat, l’UE mette en place un solide bouclier protecteur contre la spéculation sur les marchés européens du logement et lance une offensive pour plus d’investissements publics dans le logement abordable pour sa population.
Au cours des dernières décennies, un logement sûr, sain et adéquat est souvent devenu inabordable pour de nombreuses personnes dans les villes et les régions d’Europe ; cette question devient de plus en plus un facteur décisif lors des élections. Les eurocrates avertis savent bien que le logement n’est pas une compétence de l’Union européenne, mais que l’organisation de la politique du logement incombe aux États membres dans l’esprit de la subsidiarité. Pourtant, la jeune employée de Barcelone qui vit encore chez ses parents parce qu’elle ne trouve pas d’appartement abordable face à la déferlante Airbnb y est totalement indifférente, tout comme la famille de Bratislava qui déménage avec ses enfants de l’autre côté de la frontière, dans un village autrichien, parce que c’est trop cher dans la capitale slovaque. Ils veulent et ont besoin de solutions locales, là où se trouvent leurs familles, leurs amis et leurs emplois.
Ces dernières années, les citoyens et citoyennes ont donc de plus en plus pointé du doigt la pénurie de logements et se sont exprimés à ce sujet, souvent aux côtés des organisations de locataires, par le biais d’initiatives citoyennes, de référendums, d’actions de protestation et même de squats. De même, un certain nombre d’initiatives ont mis en évidence des solutions au niveau européen et au niveau des États membres, dont certaines ont conduit à une action de la part de la Commission européenne. Il s’agissait souvent de mesures de protection contre la gentrification et la vacance spéculative, également de mesures contre le niveau incontrôlé des loyers et la vente du parc de logements publics ou sociaux. Le financement des marchés du logement a rendu les structures de propriété si opaques que les locataires ne savent plus à qui appartient l’appartement qu’ils habitent et cherchent alors aide et conseils auprès de leurs maires. Les dirigeants des villes ont fait ce qu’ils pouvaient, comme nous l’avons vu pendant la pandémie de coronavirus et plus tard pendant la crise de l’inflation et de l’énergie, avec beaucoup de courage pour des interventions difficiles, mais encore plus en utilisant leurs budgets sociaux. Cependant, il est une fois de plus apparu clairement que les limites de la capacité d’action des villes et des régions sont définies par la gouvernance nationale, mais que le cadre réglementaire de l’UE joue également un rôle important lorsqu’il s’agit de la marge de manœuvre de ces dernières pour façonner la politique de logement.
L’alliance à l’échelle européenne, voire mondiale, des citoyens et citoyennes, des villes et des régions, des acteurs du logement social et abordable, des organisations de locataires, du secteur du logement à but non lucratif et du monde scientifique et universitaire a certainement contribué à ce que, depuis quelques années – enfin ! – les institutions européennes accordent davantage d’attention à la question du logement. La Commission européenne a certainement également entendu la voix des autres institutions de l’UE, le Comité économique et social européen, le Comité des régions et le Parlement européen, qui demandent que des mesures soient prises pour lutter contre la crise du logement. Et la prise de conscience que les objectifs climatiques ne peuvent être atteints sans les villes et les régions, notamment en matière de rénovation du parc immobilier, a certainement contribué à faire bouger les choses.
Les partis feraient donc bien d’aborder tous les niveaux de responsabilité de la politique du logement dans leurs manifestes électoraux et plus encore dans leurs programmes de gouvernement s’ils visent à trouver de vraies solutions pour le plus grand nombre et s’ils veulent être crédibles auprès de leurs électeurs et électrices. Dans le débat sur l’avenir de l’Union européenne, il sera important de montrer qui les gens croient lorsqu’il s’agit d’améliorer leurs conditions de vie, d’assurer une bonne qualité de vie aux générations futures et de maintenir la cohésion sociale pour que tout le monde puisse vivre dignement.
La question du logement est l’une de celles qui montre clairement où l’UE peut aller. En effet, pour faire du logement un droit humain, il ne suffit pas d’apporter quelques petites retouches, de faire, ici, un petit quelque chose pour les personnes handicapées ou les parents isolés et là de mettre en place quelques programmes pour les sans-abri et les réfugiés, tout en « oubliant » la protection et les droits des locataires lors de la grande vague de rénovations des bâtiments existants. C’est un changement de mentalité fondamental qui s’impose : le logement doit servir le bien commun, c’est-à-dire être intégré dans le contexte d’un développement urbain inclusif, durable et productif, conformément à la nouvelle charte de Leipzig à partir de 2020. Dans cette optique, le droit de la concurrence, comme l’ont récemment demandé les ministres européens du logement, doit être conçu pour promouvoir le logement pour de larges pans de la population, la gouvernance économique de l’UE doit faciliter les investissements publics à long terme et les fonds de l’UE et les financements de la BEI doivent être canalisés directement et plus spécifiquement vers les villes et les régions.
La jeune employée de Barcelone, qui doit encore vivre dans son ancienne chambre d´enfants, devrait entendre un message clair pour les élections européennes dans les prochains mois, tout comme la famille slovaque dans le village frontalier autrichien : rendre le logement abordable, sûr et sain pour tous ne peut se faire que par ces forces politiques qui garantissent qu’eux et leurs enfants pourront à l’avenir continuer à vivre près de leurs familles. Seuls les partis qui militent clairement en faveur d’une grande diversité de formes de logement abordables, qui sont favorables à des investissements socialement, écologiquement et économiquement durables dans la construction et la rénovation, qui ont le courage d’intervenir à tous les niveaux de gouvernement dans un marché faussé, peuvent y parvenir. Les forces politiques qui s’opposent à une plus grande transparence dans les locations touristiques à court terme, dans les transactions immobilières, dans le blanchiment d’argent criminel, qui continuent d’ouvrir la porte aux investisseurs institutionnels pour qu’ils recherchent impitoyablement toujours plus de profit sur nos marchés du logement, doivent également être clairement nommées. Car ce sont aussi ces forces qui continuent à monter les plus pauvres des pauvres les uns contre les autres en matière de logement, qui distribuent des logements sociaux comme un cadeau de pitié à ceux qui « le méritent vraiment », qui stigmatisent les gens lorsqu’ils ont recours à une aide, tandis que des profits continuent à être réalisés et extraits allègrement sur les marchés du logement, notamment avec des fonds publics.
Le logement pour le bien commun est le projet d’avenir des villes et des régions, des États et de l’Union européenne. Il nous apporte la durabilité sociale, environnementale et économique en fournissant un logement de qualité, sain et sûr à tous les citoyens et citoyennes, en protégeant l’environnement et en maintenant l’investissement public dans le système. Au début du mois de juin, la jeune femme de Barcelone et la famille slovaque, comme beaucoup d’autres, devraient savoir qui défend l’idée de faire de l’Europe un foyer sûr pour tous.
Michaela Kauer, directrice du bureau de liaison de la ville de Vienne à Bruxelles, est une experte reconnue de la politique urbaine de l’UE, du logement social, public et abordable et des services publics, avec un fort accent sur l’égalité des sexes. De 2015 à 2018, elle a été l’une des deux coordinatrices du partenariat de l’agenda urbain de l’UE sur le logement. Elle a été membre du jury du Prix européen du logement responsable et membre du groupe de pilotage du Forum européen du logement organisé par Habitat for Humanity. Elle publie régulièrement des articles sur les politiques urbaines, de logement et d’égalité entre les hommes et les femmes et enseigne dans le milieu universitaire.