« L’image de la France pourrait vaciller dans le regard des autres pays si le « Front national arrive en tête du scrutin du 25 mai. Perte d’influence, image écornée préoccupent certains partenaires européens quand d’autres affichent leur indifférence ».
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadelis, a déclaré le 18 mai sur France 5 que « la France serait confronté à un étonnement planétaire » si le Front national arrivait en tête des élections européennes. « La patrie des droits de l’Homme sera d’un seul coup devenue la patrie de ceux qui veulent exclure les autres », avait estimé l’homme politique. Certains pays s’inquiètent de fait de cette évolution, pour des motifs différents.
Une perte d’influence mécanique au Parlement européen
L’Allemagne craint un affaiblissement du second pilier de l’UE, même si la montée du FN est perçue comme un malaise d’origine économique. « On devrait se demander ce qu’il se passe vraiment en France et pourquoi les Français votent soudainement pour un parti que beaucoup qualifient d’extrême-droite », précise Stefan Seidendorf, responsable de la politique européenne de l’Institut franco-allemand à Ludwigsburg. « La crise économique est plus un défi en France que dans d’autres États membres » constate-t-il. En outre, les thèmes de l’immigration et le traitement des minorités jouent également un rôle.
En revanche, Stefan Seidendorf estime qu’une victoire électorale du FN, accompagnée d’une présence de nombreux eurosceptiques au Parlement européen, pourrait entraîner une perte d’influence pour la France. Selon lui, la particularité de la France est qu’elle n’a déjà pas beaucoup d’influence au Parlement européen, en raison d’un manque d’assiduité de ses eurodéputés, et aussi du fait que les principaux partis français envoient les mauvais candidats à Bruxelles. En revanche, les eurodéputés du Front national n’ont jamais pris leur travail au Parlement très au sérieux, ce qui limite l’impact potentiel de leur présence.
Sur les 74 eurodéputés français, la France pourrait en avoir que 55-60 de disponibles pour soutenir des projets de loi au sein de coalitions si le FN obtenait 20 députés. Ce qui affaiblirait définitivement la voix de la France en Europe, surtout face à l’Allemagne (99 élus). Le Royaume-Uni et l’Italie qui ont le même nombre d’élus devraient également voir des députés eurosceptiques entrer au Parlement européen, mais dans une moindre mesure a priori.
L’image de la France des Lumières écornée
En Grèce, la montée de Marine Le Pen est considérée comme dangereuse et moralement « répugnante » pour l’Europe et la France. La Nouvelle démocratie, le parti de centre-droit au pouvoir, rejette la responsabilité de cette ascension du FN sur le président socialiste français. La Gauche démocrate (centre-gauche) estime pour sa part que ce phénomène va à l’encontre du passé démocratique de la France.
« C’est exactement la même chose qu’en Grèce, où un parti néonazi a obtenu plus de 10 % des voix », a expliqué à EurActiv Grèce Andreas Papadopoulos, candidat eurodéputé pour la Gauche démocrate, en référence au parti populiste et nationaliste l’Aube dorée.
« Cette ascension en répugnent beaucoup dans tous les pays, surtout dans un État où la tradition démocratique est profonde : le pays des Lumières. Marine Le Pen ne respecte aucun principe lié au Siècle des Lumières. Il s’agit évidemment d’un phénomène dangereux et, si elle obtient de bons résultats, alors l’UE ne peut pas l’ignorer », a-t-il ajouté. (…)
En Bulgarie, où le parti Ataka soutient non officiellement le parti socialiste au pouvoir, le Front national est perçu comme un Ataka-bis, guère plus démocrate. Le pays a donc été étonné de voir Marine Le Pen prendre ses distances d’Ataka, durant un épisode de l’émission française Mots croisés qui a fait des vagues en Bulgarie. Marine Le Pen avait alors reproché au ministre des Finances, Pierre Moscovici, la tolérance du Parti socialiste européen vis-à-vis de « la vraie extrême-droite ». « Balayez devant votre porte au parti socialiste européen » a ajouté la présidente du Front national, en tentant ainsi d’ériger une barrière entre son mouvement et le mouvement Ataka, connu pour sa rhétorique anti-turque et anti-Roms.
Une élection marquée par l’abstention partout en Europe
L’impact du vote FN en France aura toutefois une influence limitée par l’abstention, grande star de cette élection. Et pas seulement en France. Le taux de la participation est certes très décrié dans l’Hexagone, où l’abstention risque d’atteindre 61 %. Mais certains pays ont des traditions abstentionnistes encore plus fortes. Et comme le rappelle à l’envie les eurodéputés, le président américain est élu par à peine un quart des américains.
En République tchèque, le taux d’abstention avait atteint 72 % lors des dernières élections européennes, au coude à coude avec l’abstention constatée en Roumanie (73 %). En Slovaquie, l’abstention avait dépassé les 80 %. De même, l’intérêt du Royaume–Uni pour les élections européennes n’est pas très marqué. « Les Britanniques ne s’intéressent pas du tout aux élections européennes dans leur propre pays, ils ont donc un mal fou à savoir ce qu’il se passe ailleurs. Les médias ici ne se concentrent que sur le parti eurosceptique UKIP, qui manifeste un rejet de l’UE, mais aussi un rejet de la politique en général, un vote protestataire classique » remarque Eric Albert, correspondant du Monde à Londres
Dans ce contexte, la question du FN est lointaine, et les Britanniques comprennent bien que le populisme existe partout. Ceci étant dit, ceux qui regardent la politique européenne de près se trouvent renforcés dans deux conclusions : la France est le pays malade de l’Europe, le vote FN étant un symptome de ce mal-être; le projet européen vacille, puisque même en France, les eurosceptiques gagnent en puissance ».
En Pologne, la France attire peu l’attention, contrairement au Royaume-Uni ou à l’Allemagne où les diasporas polonaises sont importantes. La question du Front national n’est donc pas primordiale aux yeux des polonais qui suivent de lui l’actualité du Parlement européen.
La France repoussoir ?
Sans se préoccuper d’une éventuelle percée du vote populiste dans les urnes, la Suisse sait qu’elle ne peut ignorer les élections européennes. Et la répartition des sièges, notamment du côté des eurosceptiques. Elles façonneront l’UE de ces prochaines années alors même que les relations entre Berne et Bruxelles sont en plein chamboulement, depuis la votation du 9 février dernier qui a vu une majorité de Suisses opter « contre l’immigration de masse ». Un vote qui impose une refonte des accords bilatéraux.(…)
Aux Etats-Unis, on continue d’observer la France comme un phénomène étrange. « Après l’effet repoussoir d’un président français revendiqué socialiste, l’extrême droite de Marine Le Pen et ses positions anti-européennes et nationalistes n’ont pas de quoi raviver l’image d’une France affaiblie » explique une correspondante de l’AFP, qui souligne que les Américains ont tendance à se méfier de tout ce qui peut nuire au capitalisme. La montée en puissance du FN, avec les promesses d’une sortie de l’euro et de mesures protectionnistes, ne vont évidemment pas dans le sens d’une embellie du commerce transatlantique. Mais la progression d’un mouvement d’extrême droite aux Etats-Unis sous la forme du Tea Party a profondément influencé la politique américaine, et contribue aujourd’hui à banaliser le phénomène Marine Le Pen. »
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