Pour rapprocher les Français des institutions européennes, abandonnons l’idée d’une liste nationale pour 13 eurocirconscriptions, estiment Yves Bertoncini et Olivier Mousson. Les consultations sur la réforme du mode de scrutin désignant les députés européens élus en France sont une bonne occasion d’évaluer comment le président de la République souhaite traduire dans les actes la vision exposée dans son discours de la Sorbonne. Si cet exaltant discours s’est prononcé en faveur de l’élection bienvenue de 73 députés européens sur des listes transnationales, grâce aux sièges bientôt laissés vacants par les Britanniques, il a curieusement passé sous silence une réforme éventuelle du mode de scrutin national dont l’issue est déterminante pour l’ancrage citoyen du Parlement européen et de l’UE dans notre pays.
Les autorités françaises ont eu raison d’abandonner en 2004 un mode de scrutin mettant en concurrence des listes nationales, et qui présentaient de multiples inconvénients : absence totale d’ancrage territorial des élus et de liens avec leurs électeurs, listes fabriquées par des états-majors partisans recasant nombre de recalés du gouvernement ou des élections législatives, campagne centrée sur les enjeux nationaux et conduites par quelques leaders s’empressant le plus souvent de démissionner quelque temps après le verdict des urnes… Il est d’autant plus étonnant de lire que les autorités françaises actuelles seraient tentées d’en revenir à un mode de scrutin national qu’elles se veulent les promotrices d’une vision citoyenne de l’Europe et même de la chose publique. Il serait même cocasse de promouvoir ce retour en arrière au motif que les députés européens n’ont pas un lien de proximité suffisant avec leurs électeurs, tout en le réduisant à néant si leur circonscription était la France tout entière !
Disons-le tout net : les députés européens n’auront jamais le même lien de proximité avec leurs électeurs que les députés français. D’une part parce que les compétences de l’UE demeurent limitées par le principe de subsidiarité et parce que les décisions des parlementaires européens ont un impact moins direct dans la vie des Français que celles des parlementaires nationaux. D’autre part parce qu’il ne serait pas possible de faire fonctionner un Parlement européen de plus de 5 000 membres, élus sur la base du ratio 1 député pour 110 000 habitants en vigueur pour les législatives en France : c’est la raison très prosaïque pour laquelle un député européen ne représente en moyenne que 700 000 citoyens, au prix d’un affaiblissement de son ancrage territorial. Mais voilà deux raisons supplémentaires de ne pas adopter un mode de scrutin qui éloigne plus encore les parlementaires européens des citoyens qu’ils ont pour mission de représenter à Strasbourg et à Bruxelles.
Il faut en réalité poursuivre la marche en avant vers les électeurs entamée en 2004 en utilisant l’opportunité offerte par la création récente de 13 régions métropolitaines à « dimension européenne » : voilà en effet autant d’eurocirconscriptions plus proches des électeurs et ayant du sens à leurs yeux. Il n’aurait pas été possible d’opter pour des circonscriptions à la taille des 22 régions métropolitaines, sauf à ne plus respecter les principes de proportionnalité et de pluralisme partisan fixés par les règles communes européennes – règles qui poussent nombre de pays peu peuplés à n’avoir qu’une circonscription nationale. Mais il est tout à fait envisageable de créer ces 13 circonscriptions métropolitaines, en plus de la circonscription outre-mer déjà en vigueur. Le Royaume-Uni, qui compte autant d’habitants que la France, a mis en place 12 circonscriptions pour les élections européennes ; la Pologne, qui n’a que 40 millions d’habitants, en a retenu 13 : rien n’empêche donc la France d’en créer 14, ou le cas échéant 11 ou 12 en associant les nouvelles régions les moins peuplées à leurs voisines afin d’éviter des déséquilibres démographiques trop marqués.
Cette régionalisation du mode de scrutin des élections européennes serait sans nul doute un bel encouragement pour les députés qui travaillent déjà avec ardeur à Strasbourg et à Bruxelles, tout en s’efforçant de rendre des comptes et de débattre avec leurs électeurs, y compris à l’initiative du Mouvement européen – France. Opter à l’inverse en faveur d’un retour à un scrutin de liste au niveau national traduirait des motivations plus obscures d’un point de vue citoyen, pour ne pas dire reflétant des considérations politiciennes et boutiquières. Il serait en tous cas paradoxal de prétendre s’engager dans la construction d’une nouvelle Europe sur la base des pratiques de « l’Ancien Monde ».
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