En ex-Allemagne de l’Est, dans le Land de Thuringe, les partis de gouvernement ont connu dimanche 27 octobre une lourde défaite électorale. Au pouvoir depuis 2014, l’extrême-gauche du parti Die Linke a conforté sa première place. Mais c’est surtout la deuxième place de l’AfD d’extrême-droite, et de son sulfureux leader Björn Höcke, qui a surpris.
« Troisième scrutin régional de l’année à l’Est de l’Allemagne« , et troisième percée de l’AfD, résume Ouest-France. A l’issue d’une campagne à « l’ambiance tendue » [Les Echos], « l’extrême droite allemande, emmenée par sa figure la plus radicale, a enregistré une nouvelle forte progression » lors de l’élection du parlement de Thuringe ce dimanche 27 octobre, explique La Croix avec l’AFP.
« Une déconvenue de plus pour les partis traditionnels au terme d’une année électorale qui les a vus s’affaiblir, alors qu’à Berlin la coalition CDU-SPD bat de l’aile« , analyse Euronews.
Un parti et un leader polémiques
Le parti « anti-migrants et eurosceptique » s’est félicité d’un « ‘séisme’ électoral en sa faveur« , rapporte La Croix. C’est en effet « près d’un électeur sur quatre[qui] a choisi l’AfD« , explique Libération. Selon les estimations, l’Alternative für Deutschland aurait récolté 23,5 % des suffrages, « faisant plus que doubler son score du précédent scrutin de 2014« , rappelle La Croix. Une « percée spectaculaire« , autant qu’un « véritable choc« , pour Le Monde.
En effet, le chef de file régional du parti, Björn Höcke, « divise autant qu’il plaît » [Le Temps]. « Ex-professeur de sport et d’histoire« , il a « fondé en 2015 le courant ‘Der Flügel’ (‘L’aile’ en français), le plus radical du parti« , rappelle le quotidien suisse. Un mouvement « placé ‘sous surveillance’ par (…) le service chargé du renseignement intérieur en Allemagne« , qui l’accuse de « relativiser le national-socialisme dans sa dimension historique« , explique Le Monde.
Patrick Moreau, chercheur au CNRS, développe dans Le Temps : « ses deux thèmes de prédilection sont le nationalisme et le révisionnisme historique« . Il a ainsi « déjà été vu à des manifestations néo-nazies« , rappellent Les Echos, et il déclare vouloir mettre un terme à « l’africanisation et l’orientalisation de la Thuringe et de l’Allemagne« , « considérant comme ‘un grand problème’ que Hitler soit dépeint comme ‘l’incarnation du mal absolu’ » [Le Monde].
Celui dont « le pouvoir de nuisance (…) est connu » est même vu comme « un poids pour son parti« , commente Le Temps. « Du côté des fédérations plus modérées de l’ouest de l’Allemagne, on se raidit, sans oser une confrontation directe« , tandis que de son côté, Björn Höcke « endosse le rôle de la victime et critique la ‘campagne de diffamation menée contre lui’« .
Effondrement des partis centraux
Selon son leader, la campagne antisystème qu’il a menée a en tout cas porté ses fruits : l’AfD est « en train de devenir un grand parti populaire national« , s’est-il réjoui [La Croix]. « En septembre déjà, l’AfD avait dépassé (…) la barre des 20 % dans deux scrutins, en Saxe et dans le Brandebourg« . Elle arrive cette fois-ci devant la CDU chrétienne-démocrate (21,8 %) et le SPD social-démocrate (8,5 %). Les Verts, eux, « reculent légèrement à 5 % » [Les Echos].
Ce résultat « souffle le chaud et le froid sur un spectre politique toujours plus ébranlé outre-Rhin« , commente L’Humanité, et vient conclure « une année électorale noire pour les deux grands partis de la coalition allemande dirigée par Angela Merkel » [Les Echos]. Un « résultat douloureux » pour la CDU, regrette son chef de file régional Mike Mohring, alors que le parti enregistre « son plus mauvais score jamais réalisé dans cette région depuis la réunification allemande en 1990« , commente La Croix. La Thuringe était en effet, entre 1990 et 2014, un « bastion imprenable de la CDU« , rappelle Le Monde.
C’est désormais, depuis 2014, « un autre parti classé aux extrêmes du paysage politique » qui dirige la région, « celui de la gauche radicale [Die Linke], héritière du parti communiste est-allemand« , poursuit La Croix. De nouveau arrivé en tête avec 31 % des voix, le ministre-président sortant Bodo Ramelow pâtit toutefois de l’effondrement de ses partenaires de coalition, le SPD et les Verts, et perd ainsi sa majorité.
Dès lors, quelle coalition imaginer pour gouverner ce Land, à la frontière de l’ex-RDA ? Si la tête de liste CDU Mike Mohring, qui « trouve que Höcke est un nazi » [Ouest-France], refuse toute alliance avec l’extrême droite, il a en revanche contredit le numéro deux de son parti en se disant « prêt à tenter [l’]expérience » d’une alliance avec Die Linke [Le Monde]. Les politologues envisagent également « une coalition alliant CDU, SPD, Verts et Libéraux« , qui formerait un gouvernement minoritaire, ajoute Libération. « L’hypothèse d’un gouvernement minoritaire que continuerait de piloter Bodo Ramelow ou d’une nouvelle élection était le plus souvent évoquée hier soir« , rapporte enfin L’Humanité.
« L’Allemagne a perdu son statut d’îlot de stabilité politique en Europe«
Voir à nouveau les partis de la coalition au pouvoir à Berlin « sanctionnés dans les urnes (…) pourrait bien avoir des répercussions au niveau national« , explique Libération, et faire perdre à l’Allemagne « son statut d’îlot de stabilité politique en Europe » [Les Echos]. Chez les sociaux-démocrates, « ce mauvais résultat risque en effet de conforter ceux qui considèrent que le SPD doit sortir du gouvernement pour reconquérir ses électeurs » [Le Monde], et « exacerber encore le débat interne avant un congrès en décembre, où le parti doit choisir » de reconduire ou non l’alliance de gouvernement, explique L’Humanité. Une rupture de coalition « signifierait la convocation d’une élection anticipée du Bundestag« .
De l’autre côté de l’échiquier, « ce score calamiteux ne pourra que fragiliser un peu plus Annegret Kramp-Karrenbauer [à la tête de la CDU], dont la cote de popularité est au plus bas« , avance Le Monde. Pour le secrétaire général du parti, il s’agit d’un « jour amer pour la CDU et la démocratie du centre en Allemagne« , rapportent Les Echos. Les conséquences d’un tel résultat mettent en effet en lumière une « polarisation inédite et une fragmentation du paysage » politique, rappelant aux Allemands le « spectre » de la République de Weimar, engloutie par le gouffre ouvert entre les blocs radicaux de droite et de gauche. Les mêmes qui risquent de « rendre la Thuringe ingouvernable« , pour Tilman Mayer, professeur de sciences politiques à l’université de Bonn [Les Echos].