
Alors que le concept de listes transnationales fut abandonné ce 7 février par une majorité issue de la ” droite plurielle ” de l’hémicycle de l’Union, l’idée de la création d’un espace public européen semble de plus en plus s’éloigner[1]. Et si cet échec découlait de la nature même de l’intégration européenne, jugée à l’aune de critères comptables et économiques par une partie grandissante des peuples européens ? Finalement, la monté de l’eurosceptisme ne serait-elle pas liée au manque de courroies sociales et solidaires entre les citoyens européens ? Il est urgent de repenser l’Europe et les liens que nous voulons y tisser à l’intérieur.
1) SAE, un rendez-vous raté ?
La volonté de créer un statut d’association au niveau européen (SAE) existe depuis longtemps. Les instances européennes ont entrepris les démarches au début des années 1990 visant à légiférer les associations, les sociétés ainsi que les coopératives, au travers de trois propositions. Deux de ces trois propositions ont fini par être acceptée : le règlement 2157/2001 relatif au statut de société européenne[2] ainsi que le règlement 1435/2003 relatif au statut de la société coopérative européenne[3]. La troisième proposition[4] [5] est largement inspirée de la loi française de 1901 et de la loi belge de 1921. Cette proposition a cependant été retirée par la commission en 2001 faute d’avancement. Nombre d’acteurs européens, associatifs et institutionnels ont regrettés ce retrait. Le Parlement européen et le Comité économique et social européen ont souligné le caractère dommageable de ce retrait, et le Conseil économique et social a réitéré en 2006[6]et 2007[7] l’intérêt de légiférer un statut d’association européen. Dans une résolution de 2009[8], le Parlement constate qu’il est nécessaire de reconnaître le statut des associations au niveau européen afin de « garantir l’égalité des traitements des entreprises de l’économie sociale dans les règles du marché intérieur ». En 2011[9], le Parlement adopte une déclaration écrite sur l’instauration des statuts pour les mutuelles, les associations et les fondations. Pourtant à l’aune des prochaines élections européennes de 2019, le SAE reste toujours dans le domaine du fantasme de quelques fédéralistes avisés.
2) La création d’un intérêt européen social et solidaire
La liberté d’association est plus qu’un droit fondamental, elle est la pierre angulaire des démocraties européennes contemporaines. D’une part, elle favorise la citoyenneté active et la démocratie participative et, d’autre part l’émergence essentielle d’une culture et d’un espace social européen qui semblent encore trop briller par son absence. Ce manque d’intérêt législatif pour le monde associatif est problématique quand nous savons que l’économie sociale et solidaire représente jusque 12 à 15 % de l’emploi dans certains pays européens[10]. Une vision ambitieuse du SAE calquée sur les cultures associatives fortes créera un cercle vertueux dans une culture associative européenne trop inégalitaire[11].
Au-delà de saut qualitatif des principes généraux et des règles minimales régissant les différentes législations étatiques, le SAE permettra sensiblement de diminuer les lourdeurs administratives propres aux associations agissant dans plusieurs pays européens. Cette nouvelle base légale aura aussi pour effet de garantir aux associations nationales d’agir plus efficacement au niveau de l’Europe et d’étendre leur activé à d’autres Etats membres. Le principe de reconnaissance mutuelle facilitera donc les activités transnationales et l’émergence de communautés sociales et solidaires dans l’Union.
Enfin, l’inclusion et la promotion des SAE permettra de modifier le cadrage cognitif de l’entreprenariat vers une plus grande diversité des activités économiques des politiques communautaires. Notamment, en permettant au monde associatif de s’étendre à des nouvelles thématiques comme l’éducation populaire aux enjeux européens et de renforcer les communautés déjà existantes comme le programme Erasmus. La recherche de financements et de la création de fonds européens pour le milieu associatif se retrouveront aussi grandement facilités.
3) Pour un dialogue social et solidaire vivifié
L’intégration européenne s’est basée sur une grande asymétrie des différents acteurs de la société civile[12]avec une prédominance des intérêts financiers sur les organisations solidaires et sociales. Suite à ce constat, la Commission européenne va tenter de modifier son paradigme de gouvernance vers une meilleure participation de la société civile. À partir des années 1990, les politistes, les philosophes et les juristes vont commencer à se pencher sur la promotion d’une « société civile européenne » afin de combler le déficit démocratique de l’Union européenne [13]. Début 2001, la Commission va publier son livre blanc sur la Gouvernance européenne suite à une large consultation de la « société civile », qui visera à une plus grande participation de la société civile, une efficience accrue des décisions et une nouvelle base de légitimité démocratique pour l’Union.[14] [15]. Dans ce sens, le SAE par le biais de la création d’une agence (ou d’un registre) permettrait une meilleure gouvernance ouverte ou toute association sera en mesure d’apporter sa contribution aux consultations ouvertes ou ciblées. Cela ne serait qu’un cheminement naturel de l’intégration de la société civile à la gouvernance européenne.
Cet article n’a pas à vocation d’apporter une solution unique et univoque au spectre de l’eurosceptisme qui menace l’Union européenne. Il s’agit plutôt ici d’enjoindre à une réflexion du type d’intégration souhaitable à la création d’un espace public européen. Parce que nous pensons que l’UE se doit d’être plus qu’un mastodonte économétrique, soumis aux diktats de l’utilitarisme électoral. Il est temps de reconcevoir l’Europe en termes de liens sociaux et de solidarité.
Thibault Koten est rédacteur-en-chef de Eyes on Europe et étudiant en droit européen á l’Institut des Études Européennes.