
Mise en cause pour sa supposée passivité devant la crise due au coronavirus, l’UE, ne dispose de quasiment aucun pouvoir en matière de santé publique, déplore, la professeure de droit public Hélène Gaudin.
Tribune. Le temps de la crise sanitaire s’est révélé un temps de critiques et de remises en cause. Rien n’y échappe : remise en cause de l’Etat, des Etats, des collectivités publiques en général, du juge, du politique… et bien sûr remise en cause de l’Union européenne. Peut-être, après tout, ces temps de remise en cause sont-ils salutaires en ce qu’ils préfigureraient un mieux futur ? Ce balancement concerne donc aussi l’Union européenne. Qui plus que celle-ci a fait l’objet de critiques et de reproches ? Quelle autre institution, au nom de son incapacité à résoudre la crise actuelle, a vu sa mort publiquement souhaitée et surtout d’ores et déjà proclamée ?
Mais de quoi parle-t-on ? Certes, le temps ne se prête pas nécessairement à l’objectivité et penche plus facilement vers la violence des propos. Sans revenir à d’anciennes rancœurs et rancunes, dont certaines sont spécifiquement françaises, diverses questions méritent d’être posées. A commencer par celle-ci : l’Union européenne dispose-t-elle d’un quelconque pouvoir pour gérer cette crise sanitaire ? Une réponse négative ne peut que s’imposer… et ce n’est pas là un argument d’autorité !
Faut-il rappeler qu’en matière de santé publique le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, qui attribue compétence pour agir à l’Union européenne, ne lui réserve qu’une compétence partagée avec les Etats membres s’agissant des « enjeux communs de sécurité en matière de santé publique » ?
De manière encore plus faible, le traité lui attribue une compétence pour mener des actions de coordination, d’appui, ou complémentaires de celles des Etats membres en matière de protection et d’amélioration de la santé humaine et de protection civile.
Souveraineté nationale
L’Union européenne empêche-t-elle alors ses Etats membres d’agir efficacement pour la protection de leurs citoyens en temps de crise sanitaire ? Faut-il rappeler qu’en matière de santé publique les traités fondant l’Union européenne laissent, depuis l’origine, la compétence en matière de protection de la santé publique aux Etats membres ? Depuis les deux traités de Rome de 1957, créant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA), des dispositions inchangées permettent aux Etats de déroger aux grands principes européens de la liberté de circulation des personnes et des marchandises au nom de la santé publique. Même le citoyen de l’Union, particulièrement protégé par celle-ci, peut voir sa liberté générale de circuler limitée au nom de diverses raisons dont celles liées à la santé publique.
Alors oui, la santé publique joue comme une clause de souveraineté nationale invocable par les Etats contre l’Union et ses politiques. Il va sans dire que le temps de crise empêche tant juridiquement que politiquement le contrôle de l’Union sur cette clause liée à la souveraineté nationale. Alors oui, la compétence pour agir en matière de santé publique appartient aux Etats membres et, a fortiori, lorsque l’on se trouve face à une crise sanitaire. Alors souhaiter la mort de l’Union européenne au prétexte de l’actuelle crise sanitaire est parfaitement vain puisque l’Union n’a aucune utilité en la matière.
Il reste certes l’accusation, plus large, d’avoir favorisé au nom d’une orthodoxie budgétaire européenne des politiques de santé publique mortifères. Que dire ? D’abord que ces politiques de restrictions budgétaires ne sont pas propres à la zone Euro, non plus qu’à l’Union. Que la crise sanitaire a un impact moindre, pour l’instant en tout cas, dans un pays – la Grèce – pourtant particulièrement frappé par la crise financière et la réduction de la dette publique. Que dire encore ? Il est évident en tout cas que l’Union, et surtout ses Etats, ont aujourd’hui rompu le sacro-saint respect du Pacte de stabilité et de croissance.
Les égoïsmes des Etats
La crise sanitaire actuelle montre aussi et sans doute davantage les égoïsmes des Etats, et le manque de solidarité. Ce manque de solidarité, qui se manifeste au sein de l’Union, qui est aussi et bien sûr, celui de l’Union, est montré du doigt : n’est-il pas, au fond, dû à l’absence d’un régime de crise sanitaire dans les traités européens ? Si l’on se le rappelle, l’élaboration des réponses à la crise économique et financière mondiale de 2008 a suscité des réactions au cas par cas des Etats en relation avec les institutions européennes. Dans le cadre d’une crise en général et d’une crise sanitaire en particulier, ces politiques par à-coups ne sont pas nécessairement un optimum.
Quoi de mieux qu’une pandémie, malheureusement, pour illustrer la fragilité de la protection par les frontières ? Quoi de mieux qu’une pandémie pour souligner le caractère meurtrier du manque de solidarité entre les Etats et les collectivités publiques ?
Si l’efficacité et la rapidité des réponses sont des qualités que l’on doit chercher en temps de crise, il est important que l’Union se voie dotée par ses Etats membres d’un régime de crise, ne serait-ce qu’en matière sanitaire, les Etats gardant pleine et entière souveraineté en matière de sauvegarde de la sécurité nationale aux termes de l’article 4, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne.
Alors oui, face à une pandémie, au nom du principe de subsidiarité, « dès lors que les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres (…) mais peuvent l’être mieux en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union », et sans doute de manière provisoire, sous le contrôle des Etats pour son déclenchement et sa durée, l’Union européenne doit se voir dotée de pouvoirs spécifiques de crise.
@le Monde
Hélène Gaudin(Professeure de droit public à l’université Toulouse-I-Capitole)