Le Front national et le groupe eurosceptique de Nigel Farage (UKIP) ont défendu le 24 novembre leur motion de censure contre Jean-Claude Juncker. Les élus de la majorité accusent la droite radicale d’avoir pris les Luxleaks comme alibi pour servir leur cause.
Le collège au grand complet (à l’exception de Günter Oettinger) a fait le déplacement lundi 24 novembre pour assister au débat sur la motion de censure visant la nouvelle Commission de Jean-Claude Juncker. Preuve s’il en est de l’importance accordée à cette épisode, premier écueil pour la Commission Juncker.
Le 18 novembre, le groupe parlementaire de Nigel Farage avait annoncé avoir rassemblé les 76 signatures d’eurodéputés (44 EFDD et 32 non-inscrits) nécessaires au dépôt d’une motion de censure contre le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. A l’origine de cette motion, la révélation de documents indiquant des accords secrets avec le Luxembourg afin de réduire considérablement leurs impôts.
Selon l’article 234 du TFUE, les parlementaires européens peuvent prononcer une motion de censure à l’encontre de la Commission. Cette disposition était déjà présente dans le Traité de Rome. Selon la procédure, une motion de censure doit être débattue en session plénière. Elle nécessite, pour être adoptée, un vote à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés et à la majorité des membres composant l’Assemblée ; elle contraint la Commission à démissionner en bloc.
Selon le Parlement européen, depuis la naissance de l’institution, huit motions de censure ont fait l’objet d’un vote sans qu’aucune ne soit adoptée.
De son côté, la gauche radicale a elle aussi tenté de faire voter une motion de censure contre la Commission de Jean-Claude Juncker au Parlement européen, à la suite de l’affaire des« luxleaks ». Cependant le groupe de la Gauche unitaire européenne et de la Gauche verte nordique (GUE/NGL) avait échoué à rassembler les signatures manquantes, ayant refusé toute alliance avec des eurodéputés d’extrême droite.
Juncker, le monstre de l’Europe
Les auteurs de la motion de censure ont accusé le président de la Commission européenne d’être la cause de tous les maux de l’Europe. A l’instar de Zanni Marco (EFDD), ils se sont montrés déçu du peu de soutien de leurs collègues parlementaires critiquant ainsi « l’hypocrisie européenne ».
« Vous êtes pleinement responsable d’avoir laissé mettre en place ces techniques d’évasion fiscale à grande échelle. Aucune personne sensée ne peut croire que vous pourrez vous battre sincèrement et fermement pour défaire demain ce que vous avez fait. Ce serait aussi crédible que de nommer Al Capone président de la Commission de sécurité et d’éthique », a affirmé Marine Le Pen avant de poursuivre « Vous n’êtes pas le seul, mais vous êtes le meilleur exemple du monstre qu’est devenue l’Union européenne », a poursuivi la présidente du Front national.
Une motion alibi ?
Pour les socialistes et démocrates européens, cette motion de censure est un alibi. Ils estiment en effet que les partis européens d’extrême droite cherchent depuis plusieurs semaines à déposer une motion de censure, avant même les révélations de l’affaire « Luxleaks ». Selon les membres du groupe S&D, les auteurs de la motion n’ont qu’un objectif, celui de « rendre l’Europe ingouvernable et de refaire vivre une crise profonde aux citoyens européens ». Sur le fond pourtant, ils sont plutôt sensibles aux arguments soulevés par l’extrême-droite sur le thème de l’évasion fiscale. «Le fait que Juncker ne soit pas crédible pour lutter contre l’évasion fiscale, c’est une évidence» admet un socialiste français. Au point que certains se sont demandé s’ils pouvaient en leur âme et conscience voter contre la motion, qui reprend des idées qu’ils soutiennent largement.
De son côté, Guy Verhofstadt, le chef de file des démocrates et libéraux a critiqué « la logique perverse » de la motion. « Ce qui m’intéresse c’est que Monsieur Farage et Madame Le Pen montrent enfin qu’il y a des liens et qu’ils mènent la même stratégie démagogique » a-t-il déclaré, tout en accusant Nigel Farage d’avoir un compte en banque offshore sur l’île de Man.
Jean-Claude Juncker veut tenir ses promesses
Alors que certains parlementaires l’encouragent à démissionner, le président de la Commission européenne s’est interrogé sur les vraies raisons de cette motion. « Les motions de censure s’adressent à l’ensemble de la Commission et j’ai l’impression que je suis le seul à être interrogé » s’est étonné le président de la Commission.
Le 12 novembre, le président de la Commission Jean-Claude Juncker était venu se défendre devant le Parlement européen. Lors du débat sur la motion de censure, il a tenu à renouveler ses promesses inscrites dans son programme pour lutter contre les dérives fiscales.
Jean-Claude Juncker s’est de nouveau voulu rassurant et a réaffirmé sa volonté d’harmoniser la fiscalité en Europe. « J’ai demandé à mon collègue, monsieur Moscovici, d’élaborer une directive qui fera en sorte qu’entre les 28 États membres, il y aura désormais un échange automatique d’informations en matière de décisions fiscales anticipé », a-t-il annoncé avant d’inviter les parlementaires européens à agir de leur côté en ce sens.
« Je veux croire que dans vos pays, dans vos partis, dans vos parlements nationaux vous déploierez des trésors d’influence pour faire en sorte que les 28 États membres accompagnent la Commission sur cette voie. Je compte sur vous », a-t-il lancé.
Cette motion a peu de chance d’être adoptée au regard de la majorité confortable dont dispose Jean-Claude Juncker au Parlement européen. Mais la crédibilité de la Commission Juncker risque d’être entachée par cette affaire. Car si la motion n’est pas adoptée en raison de ses auteurs, ses arguments finement pesés rassemblent les critiques de la gauche radicale, des Verts, des sociaux-démocrates voire même des centristes contre l’évasion fiscale.
Le vote aura lieu le 27 novembre prochain en session plénière.