« Désigné par les chefs d’Etat pour former le collège de la Commission, Jean-Claude Juncker tente de séduire les groupes politiques. Ce qui n’est pas une mince affaire. Un Article d’EurActiv Allemagne. »
Fort de sa nomination par le Conseil européen, Jean-Claude Juncker fait campagne au sein du Parlement européen. Il a rencontré les principaux groupes politiques cette semaine, pour tenter de remporter leur adhésion.
Le nouveau Parlement déterminera grâce à ces auditions son vote quant au candidat luxembourgeois le 15 juillet prochain. Peu avant ce vote, ce dernier présentera les grandes lignes politiques de son programme devant les eurodéputés en session plénière.
De l’avis de Michael Kaeding, professeur spécialisé sur les politiques européennes à l’Université de Duisburg et Essen, Jean-Claude Juncker doit encore faire ses preuves pour convaincre les eurodéputés. « L’élection de M. Juncker est loin d’être acquise », a indiqué le professeur lors d’un entretien avec EurActiv Allemagne.
Jean-Claude Juncker a besoin d’au moins 376 voix sur les 751, c’est-à-dire la majorité absolue. Cette majorité n’est pas assurée si l’on considère les résultats des élections européennes, selon lui. La grande coalition du Parti populaire européen avec les Socialistes et démocrates (S&D) ne représente plus que 55 % de la totalité de l’hémicycle. L’écart pour obtenir la majorité absolue n’est donc plus que de 36 voix. Lors des dernières élections, Barroso avait été confirmé avec 61 % des voix.
« C’est une courte avance, d’autant que les eurodéputés votent à bulletin secret », a continué le professeur.
Des opposants dans ses propres rangs ?
Au sein du PPE et du S&D, il y a également des voix dissonantes sur le cas de M. Juncker, poursuit le professeur. Les quelques 20 eurodéputés de la délégation britannique au sein du S&D pourraient voter contre lui. « En Grande Bretagne, par-delà les clivages partisans, il y a un consensus politique sur M. Juncker, qui ne serait pas le bon candidat », a expliqué le professeur allemand.
Lors du sommet européen du 26 et 27 juin derniers, Viktor Orban s’est également exprimé contre sa candidature. Partant, on peut prévoir que la délégation du Fidesz au sein du PPE, soit 12 eurodéputés, pourrait également voter contre lui. « Si l’on prend en compte en outre les votes des délégations lors du congrès de nomination du PPE qui s’est tenu à Dublin en début d’année, il est clair que la majorité nécessaire au Parlement n’est absolument pas garantie par les seuls grands groupes », a affirmé Michael Kaeding.
Les députés allemands pour leur part soutiennent du bout des doigts la candidature du Luxembourgeois. Selon certaines sources, quelques députés allemands du CDU-CSU n’auraient pas voté pour lui, a souligné le chercheur. C’est pour cela que Jean-Claude Juncker a besoin du soutien des libéraux (ADLE) et des Verts européens.
La CDU CSU appuie la tête de liste du PPE
« Je vais voter pour M. Juncker », a déclaré Herbert Reul, coprésident du groupe CDU CSU au Parlement européen, lors d’un entretien avec EurActiv Allemagne. « J’attends de M. Juncker qu’il mène une politique qui corresponde à notre programme de campagne. Je ne pense pas par ailleurs que son élection soit mise en danger au Parlement européen ».
De même, Markus Ferber, eurodéputé du CSU a confirmé à EurActiv Allemagne soutenir le candidat du PPE. En effet, il arrêtera son choix en fonction du contenu concret du programme du futur chef de l’exécutif européen.
Les sociaux-démocrates sur le qui vive
Le groupe des socialistes et démocrates est d’une certaine manière redevable au PPE et à son Spitzenkandidat. Les conservateurs ont en effet soutenu la semaine dernière la candidature de Martin Schulz à la présidence du Parlement européen et par la même permis sa réélection. Ce vote faisait partie d’une stratégie pour placer plusieurs personnalités politiques, dont le but était d’assurer au Luxembourgeois les voix du S&D.
En revanche, pour Udo Bullmann, président de la délégation du SPD au Parlement européen, l’élection de M. Juncker ne sera pas une formalité. « Monsieur Juncker devra présenter un programme concret pour remédier au déficit massif d’investissement, à la lente désindustrialisation de l’Europe tout comme aux déséquilibres sociaux. Il ne pourra pas nous payer de formules vides de sens et de vieilles idées recyclées. Il y a trop en jeux pour les citoyens européens », indique le social-démocrate.
Pas de chèque en blanc de la part de l’ADLE
L’ADLE s’est montrée encore plus critique. « M. Juncker ne se verra pas offrir des libéraux un chèque en blanc » explique l’eurodéputé Alexander Graf Lambsdorff (FDP). Son groupe a entendu le candidat le 8 juillet dans la soirée. L’échange pouvait à cette occasion être suivi en ligne à partir de 17h.
« Pour nous autres, les libéraux, il est clair quela croissance et la création d’emplois doivent être au cœur du programme politique de la Commission. En outre, le paquet de stabilité et de croissance ne doit être en aucun cas être modifié » a prévenu l’eurodéputé libéral.
« Nous avons donc de nombreux points à aborder avec M. Juncker » a ajouté de son côté le président du la ADLE, Guy Verhoftadt.
« Nos priorités sont le renforcement du marché intérieur dans le domaine de l’énergie, des marchés des capitaux et des nouvelles technologies, la mise en place d’une politique migratoire et de la citoyenneté, qui soutient les droits des minorités sexuelles. Nous voulons une Commission qui soit une institution qui guide [la politique européenne] et utilise pleinement son droit d’initiative », a poursuivi le Belge.
Le principe du Spitzenkandidat prime chez les Verts
Le 9 juillet au matin, M. Juncker s’est présenté devant les Verts. Son audition débutait à 9 heures et pouvait là aussi être suivie en ligne. « À la suite de cette audition avec M. Juncker, nous pourrons trancher entre deux positions qui actuellement divisent notre groupe », avait déclaré Rebecca Harms, coprésidente du groupe des Verts au Parlement européen, à EurActiv Allemagne.
« D’un côté, il y a une volonté de soutenir M. Juncker, car il est issu des Spitzenkandidaten des européennes et nous sommes depuis le début pour le principe du spitzenkandidat. D’un autre côté, il y a ceux qui sont pour le rejet de la candidature de M. Juncker, car il représente la mauvaise politique », a-elle expliqué.
M. Juncker était attendu sur la méthode qu’il comptait mettre en place en vue de sortir de la crise économique. Les Verts considèrent que les programmes d’investissement européens doivent être orientés sur des objectifs durables. Par exemple, l’eurodéputée Vert espère que le Luxembourgeois ne table pas trop sur les énergies fossiles.
Ce qui est certain, c’est que la candidature de Jean-Claude Juncker fait débat chez les eurodéputés français. Les 23 eurodéputés FN et la députée adossée à UKIP Joelle Bergeron devraient voter contre lui, tout comme les élus du Front de gauche (8). Chez les Verts, le débat fait rage, mais certains comme Karim Delli ne souhaitent pas voter pour lui. Au sein de la délégation PS, les « frondeurs » ne sont pas emballés non plus, même si la ligne officielle de la délégation vise à soutenir le candidat qui a obtenu la majorité.
Même si le candidat de tête de liste du PPE devait obtenir les salutaires voix de l’ADLE et de certains Verts, M. Juncker devra comparer avec les résultats qu’ont obtenus ses prédécesseurs, a expliqué de son côté Michael Kaeding. En 2004, le président de la Commission José Manuel Barroso avait été élu avec 61% des voix. En 2009, il était tombé à 53 % des suffrages. Jacques Santer avait obtenu 52 % des voix en 1994.
« Un résultat en dessous de 53 % des voix serait un camouflet pour l’expérience des Spitzenkandidaten », a prévenu Michael Kaeding.