Pour réaliser ce dossier sur la situation de l’immobilier locatif à Berlin et les difficultés à se loger, j’ai puisé essentiellement dans deux organes de presse :
le quotidien régional de Berlin TAGESSPIEGEL, dont la ligne éditoriale peut être située au centre gauche et le quotidien LE MONDE.
Je ferai état tout d’abord de la situation qui a prévalu à Berlin à partir de la réunification (1990) et de l’évolution qu’elle a connue depuis les dix dernières années.
Le gouvernement de la ville (le Sénat, Berlin est en effet une Ville-Etat, c’est-à-dire l’un des 16 Länder de la République Fédérale), issu des élections de 2016 est le résultat d’une coalition Rouge (SPD), Rouge (die Linke) et Verte. Michael Müller, le Maire (Regierender Bürgermeister) est SPD. Nous regarderons en détail les réflexions en cours et les projets mis au point par la majorité du Sénat et qui pourraient aboutir dans des délais indéterminés.
Evidemment, pour conclure, nous évoquerons également l’ensemble des commentaires, critiques et propositions qui ne manquent pas, on pouvait s’y attendre.
Daniel Priou
I – L’IMMOBILER LOCATIF A BERLIN DEPUIS 1990
La situation de Berlin pour ce qui concerne l’immobilier est assez singulière. Sur un parc de 1,9 million appartements, 1,5 million sont des locatifs, soit 81% de l’ensemble. Les propriétaires de ces logements sont des particuliers ou des associations de particuliers (40%) et des sociétés privées, des groupes immobiliers, des fonds de pension ou des fonds d’investissements (60%).
Cet état des choses résulte pour partie d’une décision de la Ville de Berlin de se séparer d’une part importante de son parc immobilier parce que vétuste et inoccupé, hérité de la réunification. La demande étant faible, la Ville estimait ne pas avoir les moyens d’assumer les travaux de rénovation. Parallèlement à cette décision, les règlementations concernant le secteur immobilier furent abolies, elles qui établissaient un contrôle des loyers en contrepartie d’une faible taxation des activités du secteur.
Donc taxation ordinaire mais liberté des loyers : les sociétés privées ont compris qu’il y avait un créneau porteur. Elles ont acheté de grands ensembles immobiliers, les ont modernisés et rénovés et ont répercuté le poids de l’investissement sur les loyers.
Or, depuis 10 ans environ (2010), la demande de logements en location a considérablement augmenté : Berlin est une ville attractive avec un marché du travail florissant, donc une démographie dynamique; l’espace disponible pour les constructions est relativement limité.
Pour toutes ces raisons (amélioration de l’habitat, demande forte, offre faible) les loyers ont beaucoup augmenté : ils représentent aujourd’hui en moyenne le quart du revenu des locataires. Ceci pousse une partie d’entre eux à chercher à se loger ailleurs, souvent en périphérie, donc dans le Land de Brandenbourg. Berlin perd des habitants d’un côté et en gagne de l’autre, la ville se « gentrifie », les quartiers populaires sont occupés progressivement par des habitants plus aisés.
Cette évolution observée à Berlin n’est pas exceptionnelle. On la retrouve dans de nombreuses grosses agglomérations, également en France.
II – GEL ET PLAFONNEMENT DES LOYERS
Le gouvernement de Berlin élabore donc un plan pour enrayer la surchauffe des loyers et assainir la situation. Il en a présenté au printemps les grandes lignes :
1 – pour une durée de cinq ans, les loyers sont gelés (GEL) et seront seulement réévalués annuellement et ajustés à l’augmentation du coût de la vie.
2 – ils ne pourront pas dépasser un tarif établi par les autorités, qui tiendra compte d’un certain nombre de critères liés au confort et au secteur géographique (PLAFONNEMENT). A ce titre, certains loyers jugés excessifs devront être diminués.
3 – dans le cas de mesures d’amélioration de l’habitat, une commission déterminera la hausse « acceptable » du loyer
4 – sont concernés par les nouvelles dispositions, 1,5 million appartements du parc locatif privé mais pas les logements des bailleurs sociaux ni les appartements neufs lors du 1erbail.
Le projet de loi sera présenté à l’automne au Sénat pour adoption. La mise en œuvre de la nouvelle réglementation est prévue le 1erjanvier 2020 (ces délais sont-ils tenables ?).
Les conséquences de cette annonce ont été immédiates ; plusieurs sociétés concernées étant cotées en Bourse, leurs actions ont chuté. En effet, si leur rendement faiblit, elles ne trouvent plus preneur. Cette réaction de la Bourse semble donc faire la preuve que le projet de plafonnement aura une certaine efficacité en contrariant la rentabilité du système actuel.
III – EVALUATION-COMMENTAIRES-PROPOSITIONS
Comme on pouvait s’y attendre, ces propositions ont été applaudies par l’Association des Locatairesde Berlin (Berliner Mieterverein) qui y voit la mesure permettant d’enrayer la hausse des prix des loyers. Avant même la mise en œuvre du projet, elle a élaboré et publié un projet de barème des valeurs maximales de loyers.
En fait, l’Association est en phase avec les options de ceux qui ont initié la démarche, elle en est peut-être même l’instigatrice.
Dans le même sens mais de façon un peu plus radicale, on peut évoquer l’idée d’un référendum d’initiative populaire dont le but serait d’obtenir la nationalisation des sociétés privées exerçant dans le secteur. Ce projet devrait avoir quelques difficultés à aboutir.
Les coopératives et associations socialesdu secteur, liées aux Eglises ou au Land, craignent un effet négatif de ces dispositions qui, du fait de la baisse des investissements dans l’immobilier, entraîneront une diminution de l’offre disponible.
Sur l’autre bord de l’échiquier politique et dans le secteur du bâtiment, on voit bien sûr les choses autrement.
L’Association des Propriétairesprivés (Eigentümerverband) s’oppose à ce projet qui décourage la construction et la rénovation de logements et aggrave la pénurie de logements
La CDU(parti conservateur, chrétien-démocrate) y voit une atteinte à la liberté d’entreprendre et dénonce le fait que les pénalités toucheront de la même façon les loyers « normaux » et les loyers spéculatifs. Pour elle, cette mesure ne résoudra pas la crise du logement à Berlin et au contraire, l’aggravera.
Les professionnelsdu secteur, c’est-à-dire les promoteurs et sociétés de gestion du bâti constatent les difficultés actuelles du marché mais ne voient dans ce projet que des aspects négatifs :
- la pénurie de logements conduit à la spéculation, pour la réduire, il faut répondre à la demande
- les sociétés privées ne sont pas la cause des problèmes mais leur solution
- avec le frein sur les loyers, les gérants de l’existant vont être mis en difficulté
- les investisseurs vont être découragés et renonceront. Il n’y aura donc plus de constructions neuves pour le locatif
Il y a aussi la réaction du petit citoyen propriétaire lambdaqui voit les choses de façon très personnelle car il investit dans l’immobilier pour garantir ses revenus à la retraite. Les loyers qu’il pratique sont inférieurs à la moyenne du marché, alors il se retrouve pénalisé et n’aura pas de retour satisfaisant sur investissement.
« Deutsche Wohnen » la plus grosse société de gestion de logements locatifs à Berlin (110000 appartements) partage évidemment les critiques de tous ordres évoqués ci-dessus et voit aussi dans le projet un risque direct pour sa propre existence. A l’annonce du projet, son action en Bourse a chuté fortement. Elle a alors lancé sans tarder une initiative visant à montrer que le projet du Sénat n’est pas utile et donc sa volonté de le torpiller. Voici quelles sont ses propositions =
- laisser le marché réguler le prix des loyers
- faire fluctuer le montant des loyers en fonction des revenus du locataire
- organiser une aide sociale publique efficace pour les foyers en difficulté
- établir le principe d’un loyer « raisonnable » qui ne doit pas dépasser le tiers des revenus du foyer
Une nouvelle idée pour détendre la situation vient d’être émise par le SPDde Berlin. Elle ne déclenche certes pas de réactions enthousiastes chez ses partenaires de la coalition mais elle est soutenue par l’opposition.
Elle propose d’utiliser en partie (à la périphérie) l’immense espace du centre de la ville libéré par la fermeture de l’aéroport de Tempelhofen 2008. La difficulté est que, lors d’un référendum d’initiative populaire en 2014, la majorité des électeurs s’est prononcée contre toute urbanisation de la zone. Il faudrait alors établir un projet nouveau précis permettant à un vote populaire d’inverser la décision. Une variante de cette idée serait d’y construire des immeubles à la place des importants bâtiments de l’ancien aéroport qui sont toujours debout et datent du 3èmeReich. A suivre.
On le voit bien, la situation de l’immobilier locatif à Berlin est complexe et un certain nombre de défis sont à relever. Les responsables se préoccupent désormais surtout de résoudre la crise concernant l’offre de logements et le montant des loyers.
Dans ce contexte, la question du logement durable n’est pas à l’ordre du jour…