Après une première semaine d’auditions, 4 commissaires vont devoir repasser des épreuves avant d’être confirmés ou non à leur poste. Un facteur de tension entre les forces politiques du Parlement. Le marathon des 21 auditions qui se sont déroulées au cours de la semaine s’est achevé sur la mise en ballotage de plusieurs commissaires européens, dont l’Espagnol Miguel Arias Cañete risque de faire les frais dès lundi 6 octobre.
Sur l’ensemble de ces commissaires, quatre vont devoir passer des rattrapages – écrits ou oraux, tandis que le candidat espagnol doit attendre l’examen de sa déclaration d’intérêts, durement mise en cause lors de son audition.
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Martin Schulz, le président du Parlement européen a transmis dans un courrier le 3 octobre à Jean-Claude Juncker la liste des commissaires n’ayant pas réussi à convaincre les parlementaires européens lors de leur grand oral.
Des commissaires au rattrapage
Le Britannique Jonathan Hill, commissaire désigné à la stabilité financière, aux services financiers et à l’union des marchés de capitaux devra répondre à une nouvelle série de questions écrite, avant de repasser à l’oral le 6 octobre devant la commission parlementaire des Affaires économiques et monétaires.
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Věra Jourová, la commissaire tchèque à la justice, aux consommateurs et à l’égalité des sexes ainsi que le Hongrois Tibor Navracsics, candidat controversé pour le poste de commissaire à l’Éducation, à la culture, à la jeunesse et à la citoyenneté devront aussi se plier à l’exercice écrit, mais ne repasseront pas d’oral.
« À l’issue des auditions, les commissions parlementaires compétentes ont conclu que ces trois commissaires devaient fournir davantage d’informations afin de finaliser leur évaluation » explique la lettre envoyée le 2 octobre. Ils auront jusqu’à 5 octobre 21h pour répondre aux commissions, afin que ces dernières puissent « poursuivre leur évaluation en début de semaine prochaine » précise Martin Schulz.
Moscovici convoqué à l’écrit
Pour le commissaire français Pierre Moscovici, une nouvelle épreuve écrite est également prévue, dont les questions sont toujours en préparation.
Malgré une bonne connaissance de son portefeuille, celui des affaires économiques et financières, il a payé au prix fort son passage aux ministères de l’Économie et des Finances et l’échec de la France dans la réduction des déficits publics.
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Le candidat français a uniquement recueilli l’appui de sa famille politique, les socialistes. Le 3 octobre, les eurodéputés ont donc planché sur le test de rattrapage écrit auquel Pierre Moscovici devra répondre avant le 7 octobre.
« Le problème numéro un de Pierre Moscovici, c’est qu’il n’a pas su donner de réponse politique crédible sur l’écart entre son action en tant qu’ancien ministre de l’Économie français et ses promesses en tant que futur commissaire européen » souligne l’eurodéputé français Alain Lamassoure (PPE) .
« Le jugement final sur sa candidature dépendra de la répartition exacte des tâches entre lui et les deux vice-présidents sous lesquels il est placé, Jyrki Katainen en charge de la croissance et de la compétitivité et Valdis Dombrovskis, en charge de la zone euro » détaille l’élu.
Questionnaire musclé
Les nouvelles questions concoctées par les eurodéputés aux trois autres commissaires sont sans concession.
Jonathan Hill a reçu 23 questions supplémentaires, portant principalement sur sa vision politique de ses dossiers. « Ce que nous n’avons pas apprécié, c’est qu’il refuse de prendre position sur certains dossiers importants. C’est inacceptable » regrette Alain Lamassoure.
Le commissaire britannique s’est en effet défilé sur la question de la création des Eurobonds, ces titres de dette mutualisés en zone euro, qui divisent en Union européenne.
« Quelle est votre opinion sur le trading haute fréquence, quels sont selon vous les trois éléments principaux permettant d’achever un marché des capitaux en UE, quelle recommandations feriez-vous sur les monnaies virtuelles comme le bitcoin ? » écrivent les eurodéputés.
Au-delà de sa faible connaissance des dossiers critiquée lors de son audition, son passé de lobbyiste à la City importune. « Jonhathan Hill sera certainement investi, mais il n’a pas le profil adéquat et c’est regrettable. C’est un point que ne manqueront de soulever les partis populistes » avertit l’eurodéputé français centriste Jean-Marie Cavada.
Les eurodéputés ont d’ailleurs demandé au candidat britannique de fournir « une liste complète des clients dans les services financiers » pour lesquels le candidat a travaillé dans le passé.
Les réserves exprimées à l’encontre du Hongrois Tibor Navracsics sont, elles, plus unanimes. L’ancien ministre de la Justice de Viktor Orban s’est vu reprocher lors de son audition sa proximité avec le président hongrois, dont la politique liberticide est largement dénoncée.
« Jean-Claude Juncker est très embarrassé par ce cas » affirme Jean-Marie Cavada. L’eurodéputé affirme pour sa part qu’il « ne travaillera pas avec ce commissaire » dont la candidature lui semble inacceptable ».
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Dans les questions écrites envoyées au commissaire, les eurodéputés ont insisté sur le positionnement du candidat par rapport à la politique menée dans son pays. « Pouvez-vous expliquer en détail comment la loi sur les médias hongrois ne menace pas la liberté de la presse, mais au contraire, correspond totalement aux valeurs européennes », interrogent les élus européens.
« Êtes-vous prêt à officiellement et publiquement déclaré que, dans leur version originale (que vous avez inspiré), la réforme hongroise des médias et celle du système judiciaire ne respectaient pas la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? » ont-ils poursuivi, rappelant le rôle joué par l’ancien ministre de la Justice dans ces réformes.
Enfin, les eurodéputés ont demandé au candidat « s’il était prêt a condamner officiellement et publiquement ces réformes, ainsi qu’à prendre ses distances avec son parti politique le Fidesz, le gouvernement hongrois et son premier ministre Victor Orban ».
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Enfin, Věra Jourová, qui étaient auditionnée par 4 commissions parlementaires, a reçu 34 questions écrites supplémentaires, portant sur notamment sur la protection des données personnelles, la liberté de mouvement ou encore le congé maternité européen.
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Elle a également été interrogée sur la manière dont elle comptait gérer complexité de son portefeuille, un vrai fourre-tout qui rassemble des thèmes aussi variés que la justice la protection des consommateurs et l’égalité des sexes.
Le spectre du conflit d’intérêts
Le sort de l’Espagnol Miguel Arias Cañete, commissaire candidat au portefeuille de l’énergie et du climat reste le plus explosif. Mis violemment en cause lors de son audition par les eurodéputés sur les potentiels conflits d’intérêts liés aux participations de sa famille dans le secteur pétrolier, le commissaire doit attendre l’examen lundi 6 octobre à 19 h de sa déclaration d’intérêts financiers en commission des Affaires juridique (JURI).
Une déclaration que le commissaire a modifiée à la veille de son audition, pour y corriger quelques oublis. « Sa déclaration est au minimum incomplète et au pire mensongère » a soutenu Jean-Marie Cavada, vice-président de la commission JURI. « Il a menti par omission. Il aurait dû préciser qu’il avait cédé ses participations dans des entreprises pétrolières à sa holding familiale » fulmine le vice-président de la commission des Affaires juridiques.
Résultat, les commissions en charge de son audition ont décidé de suspendre toute évaluation en attendant la réponse de la commission JURI qui se réunit lundi à 19 h pour trancher.
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Reste que l’évaluation de la commission, si elle est négative, fera l’effet d’un véritable couperet sur la candidature de l’Espagnol.
« S’il s’avère que le commissaire est dans une véritable situation de conflit d’intérêts, nous ne nous poserons pas la question », reconnait Alain Lamassoure, qui explique que ce cas de figure sort du cadre des clivages politiques. Le commissaire affilié au PPE ne pourra donc pas compter sur le soutient de sa famille politique, si le conflit d’intérêts se confirme.
« Par contre, si ce n’est prouvé et que le procès en sorcellerie se poursuit, nous n’hésiterons pas à mettre en cause un commissaire libéral ou socialiste » averti le chef de file des eurodéputés français du PPE.
Une menace qui vise directement Pierre Moscovici, le candidat français socialiste, et la Tchèque Věra Jourová, affiliée aux libéraux de l’ALDE.
Juncker « satisfait » pour le moment
Face à la multiplication des cas explosifs, la porte – parole du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a pourtant réaffirmé le 3 octobre que ce dernier avait « suivi toutes les auditions et [était] satisfait de la performance de tous les candidats jusqu’à ce stade ainsi que de leurs convictions européennes et connaissances de leurs dossiers ».
Un planning serré
S’il ne reste officiellement que deux journées pour boucler le processus des auditions des futurs commissaires, les précisions écrites demandées aux trois commissaires, la nouvelle convocation de Jonathan Hill et les incertitudes qui planent encore, le sort du commissaire espagnol laisse présager un changement de planning.
« Pour le moment, l’idée est d’essayer de tenir le planning, mais avec toutes lettres envoyées cela semble compliqué » reconnait une source au Parlement européen.
>> Retrouvez : le Calendrier des auditions
« Tout devrait être réglé en fin de semaine prochaine pour la composition de la nouvelle commission » espère quant à lui Jean-Marie Cavada. Le planning risque d’être chargé.
Et la semaine qui s’ouvre s’annonce chargée, puisque les auditions de l’ensemble des vice-présidents de la Commission européenne commencent, à l’exception de celle de la vice-présidente au budget et aux ressources humaines, Kristalina Georgieva, déjà auditionnée avec succès.
- 7 octobre : dernier jour du cycle d’auditions des commissaires désignés devant le Parlement européen
- 6 ou 7 octobre : Jonathan Hill passera une nouvelle audition
- 7 octobre : réunion extraordinaire de la conférence des présidents de commission pour évaluer les conclusions des auditions.
- 8 octobre : sommet sur l’emploi à Milan
- 8 au 9 octobre : les groupes se réunissent le 8 octobre après-midi et le 9 octobre matin pour évaluer les auditions.
- 9 octobre : la conférence des présidents se réunit pour annoncer la fin des auditions et finaliser les évaluations
- 22 octobre : vote en plénière