Ursula von der Leyen a lancé une consultation des partenaires sociaux. Plutôt qu’un smic commun, quasi impossible, il s’agit de « garantir que les travailleurs gagnent suffisamment pour subvenir à leurs besoins ».
C’est un serpent de mer, qui revient régulièrement sur le devant de la scène européenne mais n’y reste jamais longtemps. Mardi 14 janvier, la Commission a relancé le chantier du salaire minimum européen, et commencé à consulter les partenaires sociaux – BusinessEurope pour le patronat (dirigé par l’ancien président du Medef Pierre Gattaz) et la Confédération européenne des syndicats (CES) pour les travailleurs – sur le sujet.
Même s’il est encore trop tôt pour évaluer les chances d’aboutir de ce projet, qui pose de nombreuses questions politiques et institutionnelles, cette initiative signe la volonté d’Ursula von der Leyen de construire une Europe plus sociale. Moins de deux mois après son entrée en fonctions, le 1er décembre 2019, la nouvelle présidente de l’exécutif européen a enclenché le processus qui doit permettre d’instaurer un « cadre légal pour les salaires minimum dans l’Union européenne (UE) ».
Ces consultations dureront six semaines, comme le prévoient les traités. Deux scénarios sont ensuite possibles. Soit la Commission fait, dans le mois qui suit, des propositions qui ouvriront alors une seconde phase de discussions avec les syndicats et le patronat, également de six semaines. « Nous élaborerons ensuite une proposition qui sera soumise aux Etats membres et au Parlement européen, au mieux au début de l’été ou sinon début septembre », a déclaré le commissaire européen à l’emploi, le Luxembourgeois Nicolas Schmit. Soit, et c’est la seconde hypothèse, les partenaires sociaux s’emparent du sujet et ils auront alors neuf mois pour s’entendre. « Pour le moment, je n’ai pas l’information qu’ils veuillent le faire », a commenté M. Schmit.
« Il ne s’agit ni de fixer un salaire minimum européen uniforme, ni d’obliger les pays à introduire un salaire minimum », a précisé le vice-président de la Commission, le Letton Valdis Dombrovskis. Mais de présenter un « instrument juridique pour garantir que les travailleurs gagnent suffisamment pour subvenir à leurs besoins », a-t-il poursuivi.
Plusieurs Etats membres sont réticents
La question des rémunérations n’est pas une compétence de l’UE. Et plusieurs Etats membres y sont réticents. Les pays d’Europe de l’Est redoutent que Bruxelles ne leur demande d’augmenter leur salaire minimum – ils en ont tous un – dans des proportions qui leur feraient perdre de la compétitivité. Pour l’heure, ils n’ont pas officiellement fait part de leurs réserves et attendent d’en savoir plus sur les intentions de la Commission.
Quant aux six pays qui, au sein de l’UE, préfèrent les conventions collectives à la loi pour traiter les thématiques salariales – le Danemark, la Finlande, la Suède, l’Autriche, l’Italie et Chypre –, ils sont par principe opposés à l’intervention de la Commission dans ce domaine.
Tout particulièrement Stockholm et Copenhague, viscéralement attachés à leur modèle social, comme ils l’ont rappelé à de multiples reprises. « Ces pays peuvent difficilement être accusés de nourrir – par l’absence d’un salaire minimum légal – une concurrence sociale au sein de l’UE, dans la mesure où il s’agit, pour la plupart, de pays où le coût de la main-d’œuvre est supérieur à la moyenne de l’UE », note la chercheuse Sofia Fernandes, qui a publié une étude sur le salaire minimum européen en avril 2019 pour le compte de l’Institut Jacques-Delors.
Dans ce contexte, Mme von der Leyen et ses équipes s’attachent pour l’instant à désamorcer les craintes des Scandinaves. « J’ai rendu visite à la Suède et au Danemark. Ils peuvent garder leur système de négociation collective exclusivement, ils n’ont pas besoin d’introduire un salaire minimum par la loi », a répété M. Schmit, mardi. « Il nous faut créer un mécanisme qui permette de garantir à tout citoyen européen travaillant à plein temps de vivre au-dessus du seuil de pauvreté », explique Amélie de Montchalin, la secrétaire d’Etat chargée des affaires européennes, alors que l’Europe compte 10 % de travailleurs pauvres.
« Rattrapage salarial »
Certains parlent d’un plancher qui pourrait représenter 50 % ou 60 % du salaire médian du pays. D’autres évoquent un niveau de revenus qui, au sein d’un même Etat, pourrait varier d’un endroit à l’autre, en fonction du coût de la vie.
«On peut aussi se demander comment prendre en compte les éléments de salaire et le revenu global, aides sociales comprises », ajoute Mme de Montchalin. Des critères concernant la dynamique des rémunérations peuvent également être imaginés. « On peut décider que les salaires minimum, là où ils existent, ne devront pas augmenter moins que la productivité, sinon cela veut dire que les entreprises se font des marges indues sur leurs salariés », imagine un haut fonctionnaire européen.
Aujourd’hui, vingt-deux pays, Royaume-Uni compris, ont adopté un salaire minimum. De 286 euros brut mensuels en Bulgarie, il monte jusqu’à 2 071 euros au Luxembourg, selon Eurostat. Soit un écart de 1 à 7. En Roumanie, Lettonie et Hongrie, il ne dépasse pas 500 euros. En France, il s’élève à 1 521 euros. Si l’on regarde les salaires minimum en tenant compte du niveau de vie, les écarts sont nettement moins importants. Ainsi, entre la Bulgarie et le Luxembourg, ils ne sont plus que de 1 à 3.
Par ailleurs, souligne Mme Fernandes, « le rattrapage salarial des pays où le salaire minimum est plus faible est enclenché, ce qui ne veut pas dire qu’il ne puisse pas être accéléré ». Au cours des quinze dernières années, c’est-à-dire depuis le premier élargissement aux pays d’Europe centrale et de l’Est, les salaires ont augmenté bien plus rapidement dans ces pays qu’ailleurs. Ainsi, depuis 2004, le salaire minimum a progressé de 25 % en France, contre 200 % en Pologne, 367 % en Bulgarie ou 556 % en Roumanie.
Un des marqueurs de la mandature von der Leyen
Le débat sur un salaire minimum européen n’est pas récent mais il est devenu plus urgent, alors que les travailleurs au sein de l’UE sont de plus en plus mobiles et que la concurrence sociale s’est accrue, alimentant la rhétorique eurosceptique des populistes.
En novembre 2017, dans la ville suédoise de Göteborg, les dirigeants européens ont lancé le « socle des droits sociaux en Europe », qui liste vingt principes en matière sociale que l’Europe doit faire siens, dont celui d’un salaire minimum européen.
L’idée est revenue en force lors de la campagne électorale qui a précédé les européennes du 26 mai 2019. Défendue par les sociaux-démocrates, elle est ouvertement soutenue par Emmanuel Macron, qui l’avait évoquée dans son discours de la Sorbonne en septembre 2017, et par la chancelière Angela Merkel, qui souhaite en faire l’une des priorités de la présidence allemande de l’UE au second semestre 2020. L’adoption par Berlin d’un salaire minimum en 2015 a sans conteste contribué à faire avancer le sujet.
Ursula von der Leyen, qui fut la ministre de la défense de Mme Merkel avant de s’installer à Bruxelles, connaît bien ce contexte. Soucieuse d’envoyer des gages à la gauche, alors que sa nomination par les Etats membres en juin 2019 n’était pas du goût des eurodéputés sociaux-démocrates et qu’elle n’était pas certaine d’emporter l’adhésion du Parlement européen, elle a, dès le départ, fait du salaire minimum européen l’un des marqueurs de sa mandature.