Les nouvelles règles européennes en matière de dette et déficit publics limiteront la capacité des États membres à lutter contre le changement climatique de manière juste et efficace, estime Esther Lynch, lors d’un entretien avec Euractiv. La secrétaire générale de la Confédération européenne des Syndicats (CES) s’inquiète d’un retour inévitable des politiques austéritaires en Europe.
La réforme de la gouvernance économique européenne, dont le but est de contrôler les niveaux de déficit et de dette des États membres, a été la source d’intenses négociations ces derniers mois, avec l’espoir qu’un accord soit trouvé d’ici la fin de l’année.
Les anciennes règles, dont l’application avait été suspendue en 2020 du fait de la pandémie, avaient été largement fustigées, accusées de soutenir des politiques d’austérité en Europe, notamment lors de la crise de l’euro au début des années 2010.
En avril 2023, la Commission a officiellement proposé une réforme de ces règles. La nouvelle version comprend des plans de réduction de la dette sur quatre ans, adaptés aux besoins de chaque pays membre. Lorsqu’un pays s’engage à mettre sur pied des réformes structurelles, ou à investir massivement dans la lutte contre le réchauffement climatique, ces plans de réduction pourraient être allongés à sept ans.
Faire les comptes
Dans les faits, une telle réforme présente bien des problèmes, souligne Esther Lynch, lors d’un entretien avec Euractiv.
« Il faut que les Etats membres fassent leurs comptes », explique-t-elle, inquiète de voir des pays « somnambules » adopter un texte de loi sans en apprécier toutes les conséquences.
Selon Mme Lynch, qui parle au nom de 93 syndicats européens (la CGT et la CFDT en sont membres), les États membres ne savent pas « ce que ces nouvelles règles signifieront en pratique dans un an, deux ans, trois ans […] et quelles mesures austéritaires certains d’entre eux seront contraints de mettre en œuvre ».
Ses inquiétudes portent sur un ensemble de « critères communs » que l’Allemagne a su ajouter sur proposition de la Commission à la toute dernière minute. Ces critères seraient appliqués de manière uniforme à tous les plans de réduction des pays membres, sans tenir compte des besoins spécifiques de chaque pays.
Selon de nombreux experts, cela aurait comme conséquence de limiter considérablement l’impact réel de la réforme et réduirait la capacité d’investissement à long terme dans la transition verte.
Dans un communiqué publié en avril dernier, la CES recommandait en outre d’appliquer une « règle d’or » pour les investissements publics, dans un contexte où les pays européens cherchent de nouveaux moyens pour financer la lutte contre le changement climatique, et se conformer à l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030.
« Il faudrait procéder comme dans une entreprise », a déclaré Mme Lynch, dans laquelle « les investissements pourraient être amortis sur une période très longue ».
Au lieu de cela, au vu des toutes dernières négociations, les investissements dédiés à la transition verte et digitale ne seraient pas explicitement mentionnés dans le texte de loi — contrairement aux investissements dans la défense, comme le révélait Euractiv la semaine dernière — mais pourraient être pris en compte lorsque la Commission européenne envisagera d’étendre les trajectoires de réduction de dette de quatre à sept ans.
Pour Mme Lynch, cela est bien loin d’être suffisant : « Ce que nous voulons absolument, c’est une vraie marge de manœuvre budgétaire, l’aboutissement de la transition verte et [l’espace pour] des dépenses sociales ». Sans cela, il n’y a « aucune garantie que cela n’affectera pas les plus vulnérables », a-t-elle affirmé.
« Nous assistons à des réunions au quotidien où l’on nous dit : ‘personne ne sera laissé pour compte’, grâce au Pilier européen des droits sociaux, ou encore l’Europe sociale. Mais, dans le même temps, [les négociations sur une réforme budgétaire] introduiront un ensemble de règles qui rendront toutes mesures sociales impossibles ».
« Hors du domaine public »
Selon Esther Lynch, l’heure est donc au débat public : « La discussion a été détournée par des experts, des technocrates », estime-t-elle. « Nous aurions attendu des gouvernements qu’ils […] déterminent exactement les coûts à engager » dans le cadre d’une telle réforme.
Les impôts vont-ils augmenter ? Des politiques d’austérité seront-elles mises en œuvre ? Les citoyens ne sont pas au courant de tout cela, car la conversation a été déplacée « hors du domaine public », déplore la syndicaliste.
Pourtant, « les conséquences d’un tel texte auront des implications très concrètes sur les décisions politiques, et elles réduiront la marge de manœuvre politique des États membres », a averti Mme Lynch.
Selon la CES, il est encore temps pour les États membres de retourner à la table des négociations, par le biais d’un débat transparent et démocratique.
Dans cette optique, elle a réfuté l’argument selon lequel un accord doit absolument être trouvé avant la fin de l’année, sous peine de voir les anciennes règles entrer à nouveau en vigueur.
« La suspension actuelle [des règles budgétaires] resterait en place pendant encore quelques mois afin de donner du temps, plutôt que de créer une date butoir inutile ».
Enfin, elle a envoyé un message clair à tous les États membres : « Ne commettez pas l’erreur de vous soumettre à une réglementation avant d’en avoir vraiment mesuré les conséquences ».
Par : Théo Bourgery-Gonse | Euractiv France | translated by Claire Lemaire