
Les enquêtes prédisent un effondrement des sociaux-démocrates et donnent quelque 180 élus à la droite conservatrice du Parti populaire européen.
Le ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, à Varsovie pour y rencontrer, mercredi 9 janvier, les dirigeants du parti ultraconservateur au pouvoir, Droit et justice (PiS), et évoquer une grande alliance des droites radicales aux élections européennes de mai. Marine Le Pen réunissant, à Paris, des correspondants étrangers pour leur dire comment « l’Europe peut changer, de l’intérieur et radicalement »après ce scrutin. Des déclarations à la presse belge de Gerolf Annemans, du parti Vlaams Belang et vice-président de l’Europe des nations et des libertés (ENL, le groupe d’extrême droite qui rassemble actuellement 34 élus de 8 pays, dont 15 Français du Rassemblement national, RN) annonçant notamment un possible ralliement des Italiens du Mouvement 5 étoiles au lendemain du vote.
Approches, manœuvres, infos et intox mais, en tout cas, certitude que l’extrême droite de l’échiquier européen compte bien tirer un avantage maximal d’une élection qui pourrait être marquée par une forte progression des populistes eurosceptiques. Ils étaient 100 au total, répartis dans plusieurs groupes depuis le dernier scrutin de 2014 ; des sondages leur promettent 150 à 160 élus en mai. Les enquêtes prédisent aussi un effondrement des sociaux-démocrates et donnent quelque 180 élus à la droite conservatrice du Parti populaire européen (PPE). Pour Nicolas Bay, eurodéputé RN et coprésident du groupe ENL :
« Si on arrive à faire un seul grand groupe réunissant tous les partisans d’une Europe des nations, on peut devenir une force incontournable. Peut-être la première du Parlement. »
Il faudrait, pour cela, réunir des forces encore disparates. Les thèmes de la souveraineté, de l’identité, de la protection des frontières peuvent fédérer mais les sympathies de Marine Le Pen et Matteo Salvini pour Vladimir Poutine indisposent le PiS polonais tandis que l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) goûte peu les extravagances budgétaires du gouvernement de Rome. Le rôle d’inspirateur qu’essaie de jouer, dans cette opération, le trumpiste américain Stephen Bannon, divise déjà, lui aussi. « Il offre un forum de discussion mais nous n’avons pas besoin d’un conseil américain », déclare Marine Le Pen.
Rêve d’une nouvelle victoire
Le principal artisan des tentatives de rapprochement est, pour l’instant, Matteo Salvini, le ministre italien de l’intérieur. L’agenda de sa Ligue, et même de son gouvernement, est organisé autour de l’échéance européenne. L’opposition aux politiques de la Commission de Bruxelles semble d’ailleurs être le principal facteur de cohésion entre la Ligue et son allié, le Mouvement 5 étoiles.
Paraissant assuré de triompher sur la scène nationale – les sondages le créditent de plus de 30 % d’intentions de vote –, Matteo Salvini s’est mis à rêver d’une nouvelle victoire, continentale celle-ci, qui changerait le visage de l’Europe.
La cheville ouvrière de son projet est Lorenzo Fontana, actuel ministre de la famille du gouvernement Conte. Opposé à l’avortement et aux unions homosexuelles, partisan d’une Europe « dont les racines remontent à la bataille de Lépante » (à la guerre contre l’Empire ottoman), ce proche des milieux catholiques ultraconservateurs, a siégé au Parlement européen de 2009 à 2018. Il tente, à Bruxelles, de nouer des contacts en vue de la campagne et de la constitution d’une coalition des eurosceptiques.
Dans ce projet, le PiS polonais est considéré comme un allié indispensable. Les deux formations ne sont pas sur la même ligne concernant, notamment, la réforme des accords de Dublin sur la migration (Varsovie refuse tout schéma contraignant de relocalisations) mais l’essentiel est ailleurs. « L’Italie et la Pologne vont être les acteurs d’un nouveau printemps, d’une renaissance des vraies valeurs de l’Union européenne », a ainsi promis le ministre italien, mercredi, à Varsovie. « L’Europe doit revenir à son identité et ses racines judéo-chrétiennes, ce qui est négligé de façon folle à Bruxelles », déclarait-il, prônant « moins de finance, moins de bureaucratie, plus de famille, et plus de sécurité ».
A l’issue de son entretien d’une heure et demie avec l’homme fort du pays, Jaroslaw Kaczynski, le président du PiS, M. Salvini a estimé que leurs points de vue convergeaient sur « 90 % » des sujets. Il n’a pas révélé les détails d’un possible projet commun mais, affirmait-il, « nous pourrions proposer un pacte en dix points pour l’Europe, que nous proposerons aussi à d’autres mouvements populaires. Je n’ai pas la certitude que nous aurons un avenir commun, mais nous y travaillons. L’axe franco-allemand sera peut-être remplacé par l’axe italo-polonais », assurait-il.
Si le gouvernement polonais espérait recruter un allié dans son conflit avec Bruxelles autour de l’Etat de droit, il aura toutefois été déçu d’entendre son hôte italien refuser « toute promesse »en la matière. Les positions de M. Salvini sur l’annexion de la Crimée par la Russie ou sur la limitation des fonds européens pour les pays d’Europe centrale restent d’autres sujets de divergence. Comme la proximité affichée de l’Italien avec Marine Le Pen : M. Kaczynski a souligné à plusieurs reprises que son parti n’avait « rien à voir » avec le RN. Or, le parti de Mme Le Pen confirme que des meetings communs sont « prévus » avec les partis « amis », dont la Ligue. Ses lieutenants évoquent, en point d’orgue de la campagne, un meeting aux côtés de M. Salvini à Rome.
Possibilité d’alliances
L’extrême droite cherchera-t-elle aussi des alliés à Budapest ? Maintenu au sein du PPE, le premier ministre hongrois multiplie actuellement les contacts et sonde les alliances possibles avec l’extrême droite. En conférence de presse à Budapest, mercredi 10 janvier, il s’est refusé à démentir les informations du Monde selon lesquelles des contacts auraient été noués en secret entre le Rassemblement national et sa propre formation, le Fidesz, à la fin de 2018. Il s’est borné à rappeler sa « loyauté » envers le Parti populaire européen. Il semble conserver son rêve de dominer un groupe conservateur délesté de ses éléments les plus libéraux, sur lequel il aurait le loisir d’organiser la recomposition des alliances, avec certains éléments de l’extrême droite, dont M. Salvini. Quoi qu’il en soit, il semble déterminé à occuper le terrain, comme ce dernier, et se refuse à laisser l’Italien incarner seul la recomposition de la droite autour des valeurs les plus radicales.
A Strasbourg, d’autres évoquent un autre scénario encore et voient plutôt le groupe des réformistes et des conservateurs (ECR, 74 membres), bientôt orphelin des tories britanniques pour cause de Brexit, devenir le creuset d’un futur grand parti eurosceptique après les élections. Surtout s’il arrive à attirer les élus de la Ligue italienne.
En ralliant l’ECR, M. Salvini se placerait à la droite de la droite traditionnelle et trouverait des alliés moins sulfureux que Mme Le Pen ou le Néerlandais Geert Wilders. Nicolas Dupont-Aignan, crédité de 7 % d’intentions de vote aux européennes, a, quant à lui, déjà officialisé son adhésion au groupe.
Le PiS va devenir le noyau dur de l’ECR après la sortie du Royaume-Uni de l’UE mais devra nouer de nouvelles alliances après le départ des tories, d’autant que ses manœuvres d’approche du PPE n’ont rien donné : « Pas question qu’eux ou la Ligue nous rejoignent », affirme une source bien informée. La famille conservatrice héberge il est vrai 18 députés de Plate-forme civique – le parti du président du Conseil, Donald Tusk, bête noire du PiS.
Face à ces mouvements d’approche, des élus proeuropéens tentent de (se) rassurer. Ils soulignent que jusqu’ici leurs adversaires se sont montrés trop désunis pour peser véritablement. Mme Le Pen a mis près d’un an pour parvenir à constituer son groupe et ses élus n’ont brillé que par quelques déclarations en plénière, rappellent-ils.
« Ces partis extrêmes, foncièrement nationalistes, ne parviennent pas à mettre en place un vrai programme commun européen, estime le Français Alain Lamassoure, élu LR à Strasbourg presque sans interruption depuis 1989.Leurs manœuvres actuelles traduisent surtout leurs difficultés à s’entendre », estime encore l’eurodéputé, davantage inquiet, dit-il, du possible éclatement des partis proeuropéens après le scrutin de mai.
Pierre Moscovici, toujours socialiste et actuel commissaire à l’économie, est moins optimiste. « Je ne crois pas que l’extrême droite soit condamnée à rester divisée, je crains que ses leaders finissent par trouver des éléments fédérateurs, même s’ils ne parviendront probablement pas à constituer un groupe unique. »
Lucie Soullier, Blaise Gauquelin (Budapest, envoyé spécial), Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance), Jérôme Gautheret (Rome, correspondant), Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen), Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)