Graziano Pestoni
Des élections législatives nationales ont eu lieu en France les 30 juin et 7 juillet 2024. J’ai décidé de suivre de près ce moment qui s’est avéré particulièrement intéressant, grâce à l’invitation de mes amis nantais, Marie et Philippe, anciens socialistes et syndicalistes. Pendant quelques jours, il y avait aussi une syndicaliste espagnole, Gloria, qui, dans sa jeunesse, a fait la triste expérience du régime fasciste de Francisco Franco. Il faut rappeler que durant la Seconde Guerre mondiale la France a connu l’occupation allemande et le régime collaborationniste de Vichy (1940-1944). Depuis, il entretient une relation traumatisante avec l’extrême droite d’origine fasciste, comme le Rassemblement national (RN). À trois reprises (2002, 2017, 2022), au second tour de l’élection présidentielle, la gauche a été contrainte de voter pour le candidat centriste pour empêcher l’élection du leader de l’extrême droite. Aux élections européennes du 9 juin, le RN a obtenu 31,3% des voix, ravivant les craintes d’un retour de l’extrême droite au gouvernement. Pour les Français, ce fut un réveil brutal. On comprend donc que les élections législatives, convoquées immédiatement après les élections européennes, avaient pris une grande importance, surtout après les résultats du premier tour qui ont vu le RN triompher. Pour les Français, l’avenir du pays, la démocratie, les craintes d’un sombre retour fait de brutalité, de racisme, de violences physiques et verbales étaient en jeu. La semaine qui séparait le premier du deuxième tour a donc été de forte intensité dans tout le pays.
Le système électoral
Pour comprendre mon texte, je dois décrire, quoique brièvement, le système électoral français. Il s’agit d’un système majoritaire uninominal à deux tours (chaque circonscription élit un député). Cela signifie qu’au premier tour, tout le monde peut se présenter. Est élu celui qui obtient plus de 50 % des voix. Si personne n’atteint les 50 %, il y a un second tour. Peuvent participer ceux qui ont obtenu au moins 12,5% des votants inscrits au catalogue. Il y a généralement deux ou trois candidats. Le troisième pourrait se retirer pour favoriser l’élection d’un autre candidat. Et la question de ce qu’on appelle le désistement.
Les craintes de la majorité absolue
Le premier tour (30 juin) a donné les résultats suivants :
Législatives 2022 Législatives 2024 |
RN 17,30% 33,3% NFP 32,64% 29,1% Ensemble 38,6% 26,6% LR 7,28% 7,2% |
Comme on peut le constater, le RN de 2022 à 2024 est passé de 17,30% à 33,3%, soit quasiment un doublement. Si l’on considère que le système électoral récompense le parti majoritaire, on pouvait facilement imaginer que le RN puisse obtenir la majorité absolue et donc constituer un gouvernement d’extrême droite.
Cela a suscité de nombreuses craintes. Voici par exemple la position de Philippe : « Je suis triste et en colère. La nuit, je fais même des cauchemars. Et je ne suis pas le seul à vivre mal cette période. Mon médecin m’a dit que beaucoup de ses patients sont désorientés et ont même parfois dû recourir à un traitement psychiatrique. En cas de victoire du RN on craint une atteinte aux droits sociaux et syndicaux, à l’égalité entre les hommes et les femmes, une moindre attention aux questions liées au climat, aux droits civiques, une dégradation du statut des immigrés, une montée du racisme, l’instauration d’un État policier « .
Gloria, de son observatoire espagnol, observe pour sa part : « Si le RN remporte les élections en France, la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique en Europe, qui est absolument nécessaire, sera impossible et nous assisterons à un déclin de l’Europe. J’espère sincèrement que le fascisme, vaincu il y a 80 ans, ne reviendra pas, notamment avec sa discrimination raciale. »
Le RN, selon Le Monde et le Nouvel Observateur, bénéficie d’un soutien important. Le magnat de la presse, le milliardaire Vincent Boloré, n’a pas hésité par exemple à diffuser dans ses journaux de fausses nouvelles sur les immigrés pour favoriser le RN, le dimanche même où se déroulait le premier tour.
Naturellement, le débat s’est ouvert dans le pays sur les raisons du succès du RN et nombreux sont ceux qui estiment qu’une grande responsabilité incombe à la gauche. Souvent divisées, inattentive aux attentes des classes populaires et d’une classe moyenne qui vivaient raisonnablement bien jusque dans les années 2000, mais qui connaissent aujourd’hui une dégradation de leurs conditions de vie, la précarité de l’emploi, la dégradation des services publics.
Un président « indigne »
Nous avons un président « indigne », s’est exclamé Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes et ancien premier ministre, lors d’une soirée publique. Pour au moins trois raisons.
La première. Pour la politique pratiquée et les méthodes utilisées. Il a fait un usage disproportionné d’un article de la Constitution, l’article 49.3, qui permet au président de décider à la place du Parlement dans des cas extraordinaires. Emmanuel Macron l’a utilisé, entre autres, pour imposer la dégradation des retraites, à laquelle se sont opposés pendant plusieurs mois des manifestations massives et la majorité du Parlement. Un acte jugé particulièrement antidémocratique. Ce n’est pas un hasard s’il est souvent surnommé « le président des riches ».
La deuxième. La dissolution du Parlement, après la défaite de son parti aux élections européennes. Rien ne l’y a contraint. Mais les élections, convoquées avec un préavis d’un mois seulement, ont provoqué un affrontement inutile contre le RN.
Le troisième. L’ambiguïté à l’égard du RN, notamment dans les cas où son propre parti est arrivé troisième au premier tour. La politique dite du NI-NI, en cas de désistement, dont j’ai déjà parlé. Macron a mis sur le même plan la gauche démocrate et le RN, d’origine fasciste, qui discrimine les citoyens en fonction de leur religion, de leur origine, de la couleur de leur peau. Un affaiblissement du front démocratique, dont Macron lui-même a profité lors de ses deux dernières élections, en 2017 et 2022, lorsqu’il a été élu président avec les voix de la gauche.
Le deuxième tour et la grosse surprise
7 juillet, 20h00. Grosse surprise. Contrairement à toutes les prévisions selon lesquelles le RN serait largement vainqueur, la télévision nationale a annoncé la victoire du Nouveau Front populaire. Voici les résultats :
Répartition des sièges |
Prévisions après les résultats Résultats finaux du premier tour après le deuxième tour |
NFP de 180 à 200 182 Ensemble de 90 à 120 168 RN de 230 à 280 143 LR de 40 à 60 46 |
Notes : RN – Rassemblement national – extrême droiteNFP – Nouveau front populaire – gauche unieEnsemble – coalition des partis qui soutiennent MacronLR – Les républicains – droite |
Comme on peut le constater, l’écart entre les prévisions du premier tour et les résultats du second tour est gigantesque. Le RN s’est effondré de 230/280 sièges à 143. Le NFP, deuxième, mais loin derrière au premier tour, est en tête.
Le front républicain, c’est-à-dire la politique de désistement en faveur du candidat républicain ayant obtenu le plus grand nombre de voix (ensemble et NFP), malgré les ambiguïtés de Macron, comme tous les observateurs l’ont constaté, a fonctionné. La gauche et, bien que dans une moindre mesure, Ensemble, ont retiré leurs candidats pour bloquer le RN. Les craintes d’un gouvernement d’extrême droite étaient trop grandes. Le plus grand bénéficiaire semble être Ensemble, comme en témoigne l’augmentation des sièges entre le premier et le second tour.
Maintenant s’ouvre une autre phase, celle de la formation d’un nouveau gouvernement. La solution la plus simple semble être un gouvernement NFP minoritaire. Même au cours des deux dernières années, personne ne détenait la majorité absolue. Il peut être difficile de mettre en œuvre des réformes majeures qui nécessitent une majorité parlementaire. Cependant, plusieurs constitutionnalistes (voir Le Monde du 6 juillet) soulignent qu’un gouvernement dispose d’un large « pouvoir de régulation autonome » dans de nombreux domaines : école, immigration, santé, écologie. Des domaines dans lesquels le président ne peut pas s’opposer. Il existe d’autres scénarios, comme celui d’une alliance entre la gauche la plus modérée et les macronistes (ensemble), qui marginaliseraient une partie de la gauche et une partie de Ensemble. L’avenir proche nous dira comment cela se passera.
La gauche, si elle veut gagner lors des prochaines échéances électorales, ne doit pas oublier toutefois qu’elle obtient les meilleurs résultats lorsqu’elle est unie.
Article publié en Suisse le 14 juillet 2024 sur le site Naufraghi