A Bruxelles, la France de François Hollande bloque la taxe sur les transactions financières ambitieuse dont rêvait la France de Jacques Chirac. Entretemps, un furieux lobbying des banques a eu lieu. Dans la riche histoire des bonnes idées torpillées, la France vient piteusement d’écrire une triste page, celle de la taxe sur les transactions financières (TFF) poussée avec un certain succès par le mouvement social. Ce projet formidable, que l’on surnomme tantôt « taxe Tobin » (en hommage à l’économiste du XXe siècle James Tobin qui rêvait de « jeter du sable dans les rouages » de la spéculation), tantôt « taxe Robin des Bois » (en hommage à l’économiste du début du XIIe siècle qui a le premier mis en pratique la redistribution du capital aux fins de justice sociale) est mort. Et c’est le ministre des Finances Michel Sapin qui a, avec vigueur, planté les derniers clous dans son cercueil.
« Le principe de la TFF a l’élégance de la simplicité : une toute petite taxe jetée dans la machinerie financière, quelques grains de sable pour freiner les rouages et mieux stabiliser cette finance démente. Elle permettrait de surcroît de lever quelques milliards d’euros que l’on aurait réaffectés à la lutte contre la pauvreté ou à d’autres justes causes planétaires…
Pipi de chat en vue
Portée par des organisations non-gouvernementales comme Attac, elle avait été reprise au vol par la France, sous Jacques Chirac, et mise sur la table des discussions européennes. Après la crise de 2008, elle s’était imposée comme une évidence. Même les plus orthodoxes (le FMI, l’Allemagne…) avaient fini par s’y rallier. Dans le maelstrom d’alors, au moins, l’avenir de la taxe Tobin semblait alors sourire.
C’était sans compter la puissance formidable des banques… Pour elles, cette idée de taxe est une abomination qu’il faut liquider au plus vite. Elles ont alors déployé un lobbying « furieux », selon la description de l’agence financière Reuters.
Elles ont gagné. Mardi 9 décembre, à Bruxelles, les 11 pays qui discutent de cette taxe dans le cadre d’une « coopération renforcée » ont constaté leur désaccord. Ils se donnent jusqu’au 31 décembre pour s’entendre, mais d’ores et déjà, ils admettent que leur discussion débouchera sur du pipi de chat. En langage européen, « pipi de chat » se dit : « une taxe de portée limitée ».
« C’est devenu plus compliqué »
Le plus affligeant, c’est que c’est la France qui porte la responsabilité de ce fiasco. En novembre, Michel Sapin, ministre des Finances, s’est prononcé en faveur d’une taxe limitée aux actions et à certains produits, les « CDS », des contrats d’assurance contre le risque de défaut de paiement. Ils représentent 3% de l’ensemble des produits dérivés dans le monde… Le trading haute fréquence est épargné. Cette nouvelle position française n’a pas été jugée acceptable par les autres pays.
Au micro de France 3, mardi, Michel Sapin s’est expliqué : la France est très allante sur ce dossier, elle serait même prête à englober tous les produits financiers si « tous les pays de l’Union européenne » acceptaient de les taxer… mais puisque certains (Grande-Bretagne, pays du Benelux…) n’ont pas voulu participer à la négociation, c’est devenu « plus compliqué”. Comprendre : plus compliqué pour nos banques, qui sont concurrentes de celles de la City.
« C’est merveilleux les beaux projets »
Etonnant raisonnement : pourquoi l’arrêter à « tous les pays de l’Union européenne » ? Pourquoi, pendant qu’on y est, ne pas attendre que Singapour ou Saint Kitts-et-Nevis rejoignent le club des partisans de la TFF, afin d’éviter les risques de distorsion de concurrence ?
La politique, c’est souvent de se jeter à l’eau le premier. Mais Michel Sapinn’est pas dans la politique ; il n’est pas, comme il le dit, dans les « beaux projets » : il est dans ce qu’il appelle « la réalité ».
Pour les ONG il est clair que la France porte la responsabilité de ce fiasco. Elles soulignent que ni les socio-démocrates allemands et autrichiens, ni les petits Etats qui participent aux négociations ne veulent de la « TFF au rabais » proposée par Sapin.
« Mon adversaire… »
Pour ponctuer cette triste farce, Mediapart a révélé ce mardi que deux des principaux négociateurs français sur la TFF venaient d’être recrutés par les banques… L’un, expert à la représentation permanente de la France à Bruxelles, a rejoint la Fédération bancaire française, l’autre, experte à Bercy, est accueillie à la Société générale…
Ah, elles sont bien loin, les fariboles sur « mon adversaire la finance ». Souvenez vous : « cette taxe, nous ne pouvons plus en parler uniquement, il faut la faire », jurait François Hollande, le candidat, en juin 2012. Aujourd’hui, on est revenu dans le registre plus classique de « la spéculation mon amie »…
Robin des Bois peut aller se rhabiller : ses collants sont prêts, bien repassés. »