La procédure du «Spitzenkandidat», récente, consiste à faire du vainqueur des élections de mai prochain le président de la Commission européenne. Un mode de désignation très critiqué par les chefs d’États et de gouvernements européens.
Le 26 mai prochain, les électeurs français voteront pour élire des eurodéputés, mais aussi, indirectement, le futur président de la Commission européenne. Ce mode de désignation consiste à imposer la tête de liste de la formation, arrivée en première position aux élections européennes, comme chef de l’exécutif européen. Un poste aujourd’hui assuré par le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker.
L’idée initiale était de personnaliser la campagne européenne pour mobiliser les électeurs et de renforcer la légitimité démocratique de la Commission européenne, Vous n’en avez pas entendu parler? Peu étonnant, car la procédure du Spitzenkandidat – terme allemand qui signifie «candidat tête de liste» – n’existe que depuis le dernier scrutin de 2014 et fait l’objet de tensions entre le Parlement et les chefs d’États européens.
Le tournant du Traité de Lisbonne
Jusqu’en 2009, seul le Conseil européen jouissait de cette prérogative. Les 27 chefs d’États et de gouvernement proposaient un candidat que le Parlement européen adoubait ensuite par un vote. Depuis le Traité de Lisbonne, le Conseil doit, «après des consultations appropriées», tenir «compte des élections au Parlement européen» avant de soumettre à ce dernier un candidat.
Dans les rangs des dirigeants européens, l’idée de perdre ce pouvoir fait rechigner. Le futur président de la Commission va «proposer la législation à venir, analyse Olivier Rozenberg, chercheur associé au Centre d’études européennes et professeur à Sciences Po. C’est lui qui va distribuer les postes de commissaires dont certains sont très stratégiques, comme celui à l’Économie qui contrôle les déficits publics annuels. Donc la personne qui est placée à la tête de la Commission est quelque chose de fondamental pour un Emmanuel Macron ou une Angela Merkel», poursuit-il.
Le consensus de 2014 autour de Juncker difficile à reproduire
«Il y a aussi une guerre symbolique entre institutions pour celle qui nomme le ‘roi’», souligne Oliver Rozenberg. En 2014, le Parlement avait menacé le Conseil d’opposer son veto s’il ne suivait pas ce système. Ce dernier avait accepté pour une raison: le candidat de droite (PPE) d’alors, Jean-Claude Juncker, avait été élu car il avait présenté «un plan de relance très keynésien qui plaisait à la gauche (Parti socialiste européen, deuxième force du Parlement)», explique le chercheur.
Aujourd’hui, les réticences n’ont pas disparu. La procédure du Spitzenkandidat n’a rien d’automatique, martèlent à nouveau les chefs d’États. «Le traité est très clair sur la compétence autonome du Conseil européen», qui ne peut «garantir par avance» que le choix sera fait parmi les Spitzenkandidaten, a déclaré son président Donald Tusk lors d’une réunion informelle à Bruxelles en février 2019. En effet, l’article 17.7 intime de prendre en compte uniquement «les élections»: le terme «résultat» n’apparaît pas.
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«Anomalie démocratique»
En septembre, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a qualifié la procédure de Spitzenkandidat d’«anomalie démocratique», lors d’une rencontre avec les Français de Belgique. Une déclaration «contradictoire» avec le discours pro-européen d’Emmanuel Macron, selon Oliver Rozenberg, mais qui illustre «la spécificité française, car nous avons un système présidentiel. Que le Parlement nomme le chef de l’exécutif nous paraît étrange».
Dans cette équation, LREM hors jeu
De plus, La République en Marche rejette cette procédure, car le parti est d’ores et déjà exclu de la course: aucun candidat LREM ne peut prétendre au trône de la Commission puisque le parti français n’a pas encore fait savoir quelle formation, à l’échelle européenne, il souhaitait rejoindre. Les pourparlers avec l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE) sont en bonne voie. Mais lors de leur congrès à Madrid en novembre 2018, les centristes ont annoncé leur intention de désigner plutôt un groupe de candidats comme têtes de liste, dans lequel le Conseil pourra piocher. Pour Oliver Rozenberg, cette idée de «pool» a peu de chances d’aboutir: «Même en obtenant 10 à 15% des sièges, l’ALDE ne va pas influencer la procédure».
Manfred Weber, élu tête de liste du Parti populaire européen (PPE) -l’alliance des droites européennes qui réunit à la fois le parti chrétien-démocrate allemand et le parti très conservateur du premier ministre hongrois Viktor Orban– serait a priorifavori. Le PPE est en effet la force majoritaire au Parlement européen depuis 1999, mais les sondages prédisent une composition à venir beaucoup plus éclatée.
Or le président de la Commission doit être élu à la majorité absolue des membres du Parlement. «C’est une disposition institutionnelle qui va contre l’esprit du Spitzenkandidat et qui crée un grand écart, relève Olivier Rozenberg, parce que le soutien de sa famille politique pour la présidence de la Commission ne sera pas suffisant pour qu’il soit élu. Il faut qu’il ait un programme ou des accords assez larges pour être soutenu» par d’autres groupes.