
Avec sa proposition de directive sur les salaires minimums, présentée fin octobre 2020, la Commission a relancé le débat sur le “smic” à l’échelle européenne. Mais pas question d’instaurer un salaire minimum unique pour l’ensemble des Etats membres de l’UE, qui serait contraire aux traités européens et intenable économiquement. Quels sont donc les enjeux des discussions en cours ?
A l’échelle européenne, nombreux sont ceux qui souhaiteraient voir émerger un cadre sur le salaire minimum afin d’assurer une convergence, vers le haut, des économies des pays de l’Union européenne et des protections salariales qu’elles offrent à leurs travailleurs.
Le débat a notamment été remis sur la table à compter du 28 octobre 2020, lorsque la Commission européenne a proposé une directive “relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne”.
Quel salaire minimum dans les pays de l’UE ?
Dans l’UE, 21 États sur 27 ont actuellement fixé une rémunération minimale au niveau national.
Dans ces pays, ce dernier s’élève de 332 euros brut par mois en Bulgarie à 2 257 euros brut au Luxembourg au 1er janvier 2022 (source Eurostat). La France, avec un Smic à 1 603 euros brut, se situe au sixième rang à l’échelle européenne.
Au Danemark, en Finlande, en Suède, en Autriche, à Chypre et en Italie, un salaire minimum est défini par branche, c’est-à-dire pour chaque secteur d’activité, à travers des négociations entre partenaires sociaux.
Pourquoi la directive proposée par la Commission européenne n’établit pas un “smic européen” à proprement parler ?
Prenant acte des compétences limitées en matière sociale de l’UE, dont le rôle est relativement restreint, la Commission européenne n’a pas proposé une rémunération minimale unique au niveau européen. Sa mise en œuvre par le biais d’une directive serait en effet contraire aux traités. Par ailleurs, une telle mesure aurait un effet délétère sur l’économie de l’Union, selon le commissaire à l’Emploi et aux droits sociaux Nicolas Schmit. “Si la Bulgarie devait adopter les salaires du Luxembourg, son économie cesserait d’exister du jour au lendemain”, avait-il déclaré fin octobre 2020 lors de la présentation de la proposition de directive sur les salaires minimums.
La mise en place d’un même taux plancher applicable dans chaque pays, comme le souhaitaient nombre de candidats français aux élections européennes de mai 2019 – de 50 % du salaire médian pour Nathalie Loiseau (tête de liste de La République en marche) à 75 % du salaire médian pour Manon Aubry (à la tête de la liste La France insoumise) –, n’est pas non plus à l’ordre du jour pour l’exécutif bruxellois.
Enfin, la Commission européenne n’entend pas imposer la mise en place d’un salaire minimum aux pays qui n’en disposent pas, à savoir ceux où ils sont définis par des conventions collectives. Le but poursuivi par l’institution consiste à faire en sorte que les rémunérations minimales offrent un niveau de vie digne à ceux qui les touchent. “Dans la majorité des États membres, les travailleurs sont confrontés au caractère insuffisamment adéquat de la protection offerte par des salaires minimaux et/ou à des lacunes dans la couverture de celle-ci”, explique à cet effet la Commission.
Quel est le modèle avancé par la Commission ?
Pour ce faire, la proposition de directive invite les États membres à favoriser les négociations collectives, qui impliquent une importante mobilisation des partenaires sociaux, dans la définition des salaires minimaux. Les pays où les salaires sont couverts pour moins de 70 % par les négociations collectives sont tout particulièrement concernés. Une approche justifiée par le constat suivant, formulé sur le site de la Commission : “dans la majorité des États membres affichant des niveaux élevés de salaires minimaux par rapport au salaire médian, la couverture des négociations collectives dépasse 70 %”.
Selon la proposition de l’exécutif européen, le renforcement de la protection offerte par un salaire minimum devrait être suivi par le biais de rapports annuels présentés au Parlement européen et au Conseil de l’UE. Au sein de ce dernier, le Comité de l’emploi, qui conseille les ministres du Travail des Vingt-Sept, s’appuierait sur ces documents afin d’analyser la situation des États membres. Aussi, les progrès effectués dans la mise en œuvre de la mesure seraient surveillés via le semestre européen, outil de coordination des politiques économiques et budgétaires des pays de l’UE.
Quelles étapes avant l’adoption de la directive ?
Pour que la directive puisse être appliquée, elle doit maintenant être approuvée par le Parlement européen et le Conseil.
De leur côté, les eurodéputés ont arrêté une position le 25 novembre et se sont prononcés en faveur de l’ouverture des négociations avec le Conseil. Celui-ci a défini sa position à son tour le 6 décembre, reprenant l’essentiel de la proposition de la Commission européenne. Des représentants des Etats membres et des députés européens ont débattu du texte et sont parvenus à un accord dans la nuit du 6 au 7 juin 2022 pour définir un cadre et pousser notamment les Etats en possession d’un salaire minimum à l’augmenter en fonction de leur situation socioéconomique. L’accord doit encore être validé par un vote en session plénière du Parlement et au sein du Conseil par un vote à la majorité qualifiée.
Cette perspective constitue l’une des priorités de la France qui assume la présidence tournante du Conseil du 1er janvier au 30 juin 2022.
Boran Tobelem