L’adoption d’une nouvelle réforme des retraites devait être le moment d’un renouveau du pacte de sécurité sociale des Français, en même temps que la démonstration internationale de notre capacité à maîtriser nos dépenses publiques. Il se termine dans la discorde et l’effarement de la presse européenne et mondiale. Alors que nous regardons ce naufrage, souvenons-nous un instant de ce qu’était la promesse du macronisme.
C’était il y a peu, dans un climat de forte déception face à un groupe fatigué de politiques professionnels qui s’appliquaient à se caricaturer. C’était au contraire l’émergence espérée de nouvelles têtes, venues des sphères associatives, c’était une réaffirmation de valeurs centrales – certaines globalement tenues comme l’Europe qui nous est chère, d’autre moins comme la dignité de l’accueil des étrangers qui nous est chère également – c’était le règne annoncé du choix des meilleurs, de la compétence et des idées les plus convaincantes plutôt que d’un théâtre d’affrontements stériles. Ce que nous voyons aujourd’hui ressemble bien d’avantage à une verticalité des premiers de cordée.
Le projet politique porté par la réforme des retraites n’est plus compréhensible. S’agit-il d’une mesure de justice sociale ? D’un redéploiement de nos dépenses de solidarité vers de nouveaux besoins de prise en charge ? De sauver un système en implosion financière ? De réduire nos déficits ? De limiter le coût du travail pour dynamiser l’emploi ? Nous avons vu en trois ans se succéder plusieurs annonces de réformes distinctes et contraires. Les ministres directement concernés ne semblaient eux-mêmes pas en saisir les enjeux et les ressorts ; en tout cas ils n’ont pas en mesure de les exprimer clairement et sans erreur. Dans ces conditions comment convaincre ?
L’argument central même d’un régime de retraite à sauver, alors que nos voisins européens ont tous fortement repoussé l’âge de départ, n’est pas flagrant. Dans un régime par répartition, les générations nouvelles payent les pensions des générations précédentes. Le taux de natalité français est tout à fait exceptionnel en Europe, ce qui interdit de considérer comme une évidence l’exemple général. La réalité est que l’effort national des Français pour leur retraite est un peu supérieur à celui de la Belgique et l’Espagne, équivalent à celui du Portugal et de l’Autriche et un peu inférieur à celui de l’Italie. De même, le déficit du régime de retraites ne se comprend que par l’idée traditionnelle d’un financement unique par des cotisations sur les salaires, que l’État s’emploie parallèlement à supprimer car il les juge néfastes pour l’emploi. Personne ne s’interroge jamais sur un hypothétique déficit de l’éducation nationale ou de la police, qui relèvent du budget général de l’État. On oublie d’ailleurs un peu vite que le gouvernement Jospin avait créé en période de croissance un fonds de réserve public, qui aurait assuré l’équilibre du régime s’il n’avait pas été détourné par le gouvernement Fillon. L’effort en termes de PIB est donc la seule référence qui ait un sens réel. Il est probable en revanche que le vieillissement de la population se traduise par une baisse des pensions, en particulier si l’on prévoit de réduire les cotisations affectées aux retraites.
L’opinion est largement défavorable à la réforme qu’elle trouve illisible et n’a pas été convaincue de la justesse des efforts qui lui sont demandés, les mouvements sociaux sont les plus importants depuis des décennies, les syndicats ont su trouver des compromis pour surmonter leurs divergences et présenter un front uni et finalement le recours au 49.3 est l’aveu que le Parlement non plus n’a pas été convaincu. Ce passage à marche forcée constitue une faute majeure contre la démocratie. La recherche de compromis, à tort considérée comme une faiblesse, est une de ses composantes fondamentales et s’impose d’autant plus qu’il n’existe pas de majorité favorable. A défaut, le précédent des gilets jaunes conduit malheureusement à penser que seules la violence et la destruction sont audibles. Le fait que cette procédure soit prévue à titre exceptionnel par la Constitution pour garantir l’existence du budget ne peut tenir lieu de légitimité partagée.
Cet échec du débat ne doit pas être mis au seul débit du gouvernement, les oppositions en faillite n’étant pas capables de présenter de projet alternatif. Les Républicains sont un parti différent au Sénat et à l’Assemblée, les socialistes ont publiquement au minimum deux programmes sur le sujet, tandis que les écologistes se sont évanouis. Les Insoumis vivent apparemment dans un monde sans contraintes et le Front national ne prétend même pas avoir d’idée sur le sujet, ce qui lui permet de ne plus rebuter personne.
Au final, la discussion des choix démocratiques possibles s’est organisée autour de la société civile et des syndicats. Les divergences dans les approches n’ont pas été dissimulées, mais ont nourri une convergence d’action. Les défilés ont été à la fois massifs et dignes. Il y a là sans doute des forces de renouvellement de notre démocratie et nous devrons nous en souvenir. C’était après tout la promesse du macronisme.