Une étude récente révèle que les Français sont très nettement majoritaires à préférer une Union Européenne « plus puissante » que les Etats-membres. Une petite révolution qui contredit les discours nationalistes
Il y a un contraste saisissant entre la petite musique nationaliste, que fait entendre une partie de la classe politique française, et les aspirations de l’opinion publique, qui voit très majoritairement en l’Europe non pas un problème mais une solution pour l’avenir.
La surprise vient d’une toute récente étude d’opinion (1) qui mesure le grand écart entre deux options, énoncées à partir de cette question: “A l’avenir, préféreriez-vous qu’il y ait une Union européenne plus puissante face aux Etats-nations qui la composent? Ou moins puissante face aux Etats-nations qui la composent?” La réponse des Français vient de tomber et elle est très claire: 52% préféreraient une Union européenne “plus puissante” face aux Etats-nations; 22% seulement préféreraient une UE “moins puissante” face aux Etats-nations (26% sont sans réponse).
Grosse désillusion, sans doute pour les partisans du national-populisme et autres tenants du “souverainisme”, que l’on retrouve nombreux à l’extrême droite ou à la droite de la droite comme à l’extrême gauche et au cœur de la gauche radicale. Seuls les sympathisants du RN de Marine Le Pen sont (légèrement) plus nombreux (38% contre36%) à souhaiter une UE “moins puissante” que les Etats-nations. Tous les autres courants sont très nettement orientés vers une Europe “plus puissante” que les Etats-nations: c’est la préférence pour 75% des sympathisants de la majorité présidentielle mais aussi pour 62% des “sympathisants de gauche” et 56% des “sympathisants de droite”. Quelles que soient les catégories choisies, le courant qui préférerait une Europe puissante est largement majoritaire. C’est une petite révolution dans les esprits.
Des solutions recherchées à l’échelle européenne
Comme si une page d’histoire était en train, silencieusement, de se tourner. Comme si les citoyens Français se rendaient compte, malgré tous les discours politiques qui privilégient le “national”, que les problèmes d’aujourd’hui devaient trouver des solutions à l’échelle européenne. Cela ne veut pas dire que ces mêmes Français jugent l’action actuelle de l’UE efficace et pertinente. Mais cela indique qu’un retour au pré-carré des Etats-nations est considéré comme une impasse.
Dans quatre grands domaines d’action, les Français pensent ainsi que l’action doit être “prioritairement” menée à l’échelle européenne. Et ce sont des domaines majeurs. Pour la lutte contre le dérèglement climatique, les citoyens sont ainsi 67% à estimer que l’UE doit prioritairement agir, 24% seulement pensant que c’est à l’Etat-nation d’agir prioritairement en ce domaine. Pour la lutte contre le terrorisme, ils sont 64% à estimer que c’est à l’UE d’agir prioritairement (29% pour l’Etat-nation). Concernant la politique monétaire, 58% pensent que c’est à l’UE d’agir aussi prioritairement (33% l’Etat-nation). Même pour le sujet sensible et controversé de la politique concernant les migrations, les Français sont majoritaires (51% contre 40%) à estimer que l’Europe doit prioritairement agir.
Les europhobes et partisans du Frexit sont en nette minorité
C’est dire si la dimension européenne est celle qui apparaît la dimension d’avenir. Le Brexit et les soubresauts suscités en Grande-Bretagne sont passés par là. En tout cas, pour 57% des Français, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne apparaît clairement comme “une mauvaise chose”, seulement 23% estimant qu’elle est “une bonne chose”. Les europhobes et partisans du Frexit ont quelques soucis à se faire. Si la question se posait pour la France? Ce serait “une mauvaise chose” pour 60% des Français. Là encore, les sympathisants du RN de Marine Le Pen sont isolés: c’est le seul courant politique à estimer majoritairement (à 70%) que la sortie de l’UE – appelée UERSS dans le nouveau jargon lepéniste – serait “une bonne chose”.
L’évolution dans le temps de la perception de l’UE est à prendre en considération. Non seulement, l’Union Européenne évoque aujourd’hui quelque chose de “positif” pour 49% des Français mais ce score a progressé de 4 points depuis 2014. Mieux: ceux qui ont une perception négative de l’UE ont chuté de 12 points dans la même période. Les raisons de cette évolution sensible sont sans doute liées aux turbulences du monde et l’effet “protection” que peut incarner l’Europe. Cette dimension apparaît puissamment dans les attentes actuelles des Européens. Les cinq raisons qui justifient le plus, selon les Français, l’Union Européenne sont ainsi les suivantes. Dans l’ordre décroissant d’importance: ”Être plus fort face aux puissances économiques mondiales (Etats-Unis, Chine…)”, “Disposer d’une monnaie unique forte (l’euro)”, “Eviter des nouvelles guerres entre les pays d’Europe”, “Protéger les Européens des menaces du monde”, “Développer la solidarité entre les pays de l’UE”.
L’atonie de la campagne des européennes est un rideau de fumée
Quand le débat public est ainsi situé sur des sujets lourds et des enjeux d’avenir, la tendance de l’opinion est bien d’apprécier des leviers d’action européens plutôt que des instruments simplement nationaux, dont les citoyens perçoivent les limites. Une autre étude récente (2) mesurait ce souhait de se doter d’outils politiques à l’échelle du continent européen: 71% des Français se disent ainsi favorable à la création d’une Agence européenne de l’Environnement (qui pourrait vérifier le respect de l’Accord de Paris par les pays européens), 64% sont favorables à la création d’une banque européenne du Climat (destinée à financer la transition écologique dans les pays de l’UE), 70% sont favorables à la création d’un office européen de l’Asile et à une police européenne des frontières et 66% sont favorables à un Budget de Défense européen et une force commune d’intervention européenne.
L’atonie de la campagne des élections européennes et le réflexe abstentionniste qui risque de dominer est un rideau de fumée qui ne saurait masquer une réalité: en dehors des postures et des idéologies, quand on parle concret aux citoyens, l’européanisation des esprits est très avancée. Du point de vue de l’opinion, la leçon est claire: symptôme de crise et réceptacles d’incapacités et de peurs, le nationalisme est surtout perçu comme une valeur du passé.
(1) Etude Viavoice pour Libération publiée le 8 mai, réalisée du 26 au 29 avril (sur un échantillon de 1002 personnes représentatif de la population résidant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus).
(2) Le volet européen de l’Observatoire de la démocratie, réalisée par Viavoice pour La Revue Civique et la Fondation Jean Jaurès en mars dernier.
Jean-Philippe Moinet,auteur, chroniqueur, fondateur de la Revue Civique