Au 1er septembre 2015, environ 400.000 réfugiés auront cette année passé légalement ou illégalement les frontières de l’Union européenne. C’est à peu de choses près vingt fois plus qu’au début des années 2010. Depuis le début de la crise migratoire, les États-membres de l’Union européen tergiversent et renâclent à ouvrir les frontières à des réfugiés qui n’ont rien à perdre et qui passeront toujours au-dessus des mers et des barbelés. Ce faisant, les membres de l’Union européenne nient leur propre identité de pays d’immigration et oublient la responsabilité historique d’accueil et de protection des plus faibles qui est celle de la première puissance économique mondiale. Pour moi, députée européenne italienne du Parti Démocrate, l’Europe doit radicalement évoluer et remplir son devoir humanitaire.
Défis dantesques
« Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai dans une forêt obscure, dont la route droite était perdue. » Voilà l’accroche que Dante Alighieri, auteur italien du Moyen-Âge choisit pour son célèbre poème « La divine comédie ». Ce récit d’une vie, illustre bien aussi la confusion dans laquelle l’Union européenne et ses États se retrouvent, confrontés pour la première fois à un phénomène d’immigration massive de réfugiés et de migrants. Il n’y a plus de « route droite », ni de solution facile ou de lignes institutionnelles à respecter.
Les accords de Schengen et de Dublin qui ont eu pour objet de régler la question des déplacements et de la migration au sein de l’espace Schengen ne sont plus adaptés à des flux migratoires qui étaient alors vingt à trente fois inférieurs à ce que nous connaissons depuis plusieurs années aux frontières méditerranéennes et orientales de l’Union. Le système craque et cède devant ces nouveaux réfugiés tandis que les gouvernements nationaux, craignant une recrudescence des extrémismes de droite, se refusent à réformer en profondeur le système existant.
Et pourtant, au-delà de la question institutionnelle existe bel et bien une réalité humaine qui est celle de centaines de milliers de personnes cherchant un meilleur avenir, quittant des régions où elles et leurs familles sont en danger de mort ou n’ont aucune perspective de développement. Ces gens n’ont rien à perdre à partir de chez eux, mais bien tout à gagner à venir chez nous. À cette logique, aucunes mesures politiques, aucun quota, aucune fermeture de frontières ou d’aide au développement, ne pourra jamais apporter de solution pérenne. Tant que les conflits dureront à nos frontières et que les situations ne seront pas pacifiées localement, des hommes et des femmes continueront à affluer vers nos États européens et à mourir pour cela. À nous maintenant d’être lucides et d’arrêter d’imaginer avec mauvaise foi que des barrières pourraient les arrêter.
Il faut un nouveau discours franc et lucide sur les situations que nous connaissons. Si dans les années 70, les intellectuels européens s’étaient élevés contre les « boats people » vietnamiens, où sont nos leaders d’opinions aujourd’hui? Personne et malheureusement pas mes amis et camarades socialistes, n’ose avoir un discours de responsabilité sur la question des migrants. Pourquoi? Car le monde est dans une phase de repli identitaire, où le migrant, le maghrébin, le musulman est devenu la caricature du terroriste et du profiteur. Ces amalgames xénophobes tiennent nos sociétés enfermées dans une spirale d’où elles ne peuvent s’extraire. Elles sont alors incapables de porter un jugement sur les valeurs et mettent sur le même plan la valeur de la vie humaine de ces réfugiés avec celle du désagrément économique de les avoir sur nos territoires. C’est proprement scandaleux.
Wanted: valeurs humanistes
Où sont passées les valeurs européennes de partage de la richesse et de développement humain? Dans un ensemble européen comptant environ 500 millions de citoyens, nous parlons de flux qui restent autour du million de réfugiés sur quatre ans soit 0,25% de la population européenne totale. Qui peut être donc en droit de parler une seconde de l’incapacité d’accueil de ces migrants et réfugiés sur le territoire européen ? N’est-ce pas un grossier mensonge populiste quand l’ancien premier ministre français, Alain Juppé déclare que l’Europe accueille toute la misère du monde? Si l’Union européenne est la première puissance économique mondiale, comment peut-on lucidement affirmer l’incapacité des États à construire des structures d’accueils pour ces populations? Les États européens ont peur de leur ombre. Peur d’être dépassés sur leur droite par des mouvements fanatiques nationalistes et xénophobes. En cela, ils ont raison d’avoir peur, la menace est bien réelle. Mais en cédant à leur pression croissante comme en Italie avec la Ligue du Nord, en Allemagne avec les mouvements néo-nazis dans l’est du pays ou encore au Royaume-Uni avec une droite ultra-conservatrice au pouvoir, ils acceptent implicitement que ces mouvements fixent l’agenda politique ainsi que celui des valeurs.
Aujourd’hui, les réfugiés sont d’abord vus comme une menace et/ou comme un facteur de déséquilibre de nos sociétés. Mais que dire d’une société qui refuse son aide à des personnes en grande détresse, si ce n’est que cette société est elle-même déséquilibrée ? Les exemples d’enfermement identitaire en Europe sont nombreux: en Estonie, l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Kristiina Ojuland en juin 2015 déclarait que si le pays acceptait son quota européen de 200 migrants cela pourrait mettre en péril le « futur de la race blanche ». En Angleterre, l’actuelle ministre de la justice, Theresa May demande la suppression de la libre circulation selon l’accord de Schengen et fait l’amalgame entre les réfugiés et des immigrants qui viendraient profiter du système social britannique. La liste est longue et d’autres exemples comme la suspension de la libre circulation en Hongrie sont symptomatiques d’une exploitation populiste de la thématique migratoire à des fins politiciennes. Il y a, selon les valeurs d’humanisme et d’égalitarisme, un interdit moral qui est de diaboliser les plus faibles à des fins politiques. C’est précisément ce que font de nombreux partis conservateurs et populistes et cela met bien en lumière, la chute vertigineuse sur l’échelle des valeurs que nos sociétés sont en train de vivre.
Redéfinir nos idéaux européens
Nous avons les ressources et les capacités pour accueillir en Europe tous ceux qui sont dans le besoin. L’Allemagne d’Angela Merkel que je n’ai de cesse de combattre pour sa politique économique austéritaire, nous montre néanmoins ici clairement la voie. Ces réfugiés doivent pouvoir trouver leur salut chez nous et il est de notre responsabilité d’éviter des milliers de morts sur le chemin de l’Europe. Une fois sur place nous devons pouvoir les loger, les nourrir et les faire travailler pour ceux qui souhaitent rester. À long-terme, nous avons la responsabilité d’aider ces pays à se reconstruire et à créer des cadres de vie pacifiés et suffisamment prospères pour que les populations locales souhaitent rester.
Cette politique nécessitera beaucoup d’argent qui par ailleurs existe en Europe lorsqu’il faut sauver des banques. Il faudra aussi compter sur le fait que chaque réfugié arrivé a aussi un potentiel de croissance économique. Qui arrive et s’installe, créé aussi des emplois et produit de la richesse économique, culturelle et une plus-value sociale. C’est cela l’esprit européen. Celui de la mixité et de la richesse par la conjugaison des forces de chacun. Oublier cela et toujours rappeler que la situation économique en Europe ne permet pas d’accueillir ces réfugiés est un grossier mensonge. Quand bien même, les gouvernements conservateurs et libéraux ces trente dernières années ont systématiquement favorisé un appauvrissement des classes moyennes et populaires, la situation des Européens, n’est absolument pas comparable à celle de ces populations qui en plus de souffrir de la faim, de la détresse médicale, d’une extrême pauvreté sont également souvent dans des zones de conflit. Il faut donc comparer ce qui peut l’être et aider autant que nécessaire.
Les initiatives prises par les gouvernements et par l’Union européenne (qui ne fait que suivre le ton donné par les États puisque la politique d’immigration dépend presque intégralement des États membres et l’Union européenne) ne sont pas à la hauteur du défi humain. Le fait qu’aucun accord ne puisse être obtenu sur une politique de répartition des migrants, telle que proposée par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, montre à quel point cette discussion est saisie par la politique nationale. Cette absence d’accord est décevante car elle nie le principe d’égalité et de solidarité des États au sein de l’Union européenne. Pour moi qui suis députée européenne italienne et donc viens d’un pays qui, comme la Grèce ou l’Espagne sont des pays frontières, je ne peux que déplorer le manque de solidarité avec nos partenaires européens qui, comme la France, se réfugient derrière le principe de Dublin qui est celui du pays d’entrée comme pays de résidence des migrants et réfugiés.
Le résultat de cette politique est désastreux dans nos pays où l’Union européenne, même s’il elle n’est aucunement responsable est toujours accusée de bien fonctionner lorsqu’il s’agit de faire circuler l’argent mais de marcher à rebours lorsque les situations exigent une action solidaire pour les populations locales. La politique européenne en la matière et notamment pour nous, Italiens, l’action commune en méditerranée avec l’opération Triton est très largement sous-dotée et nous continuons à porter la principale charge financière de l’opération alors que le continent entier est concerné. Est-ce là une expression de la solidarité intra-européenne ? Il faut que l’Union européenne soit beaucoup plus ambitieuse en la matière et qu’elle incite rapidement et fermement les États-membres à engager une réforme ambitieuse en matière d’asile et de migration.
Car non, nous ne pouvons continuer à fonctionner sur le rythme de réunions bimensuelles entre les ministères européens concernés. Fin août, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont demandé au Conseil européen de se réunir, non pas pour discuter de la thématique des migrants et réfugiés mais de la sécurité ferroviaire. Il aura fallu un drame, et la mort en Autriche de 72 migrants dont 4 enfants à l’arrière d’un camion pour que la thématique des réfugiés soit finalement ajoutée et la réunion fixée à deux semaines soit environ 100.000 réfugiés suivant le rythme estival de l’été 2015. Est-ce là bien normal?
Que Laurent Fabius critique la Hongrie pour avoir érigé un mur avec la Serbie montre encore une fois la mauvaise foi caractérisée de grands États membres critiquant des mesures politiques pratiques pour répondre à une situation nécessitant une réponse directe alors même que eux-mêmes se défilent systématiquement en ne proposant aucune réforme d’ensemble qui permette d’apporter une solution humaine et satisfaisante. C’est maintenant qu’il nous faut développer une solution qui implique une véritable politique migratoire européenne commune ainsi qu’une politique de sécurité et de défense européenne qui aille plus loin que de simples déclarations.
Européens ou non, nous sommes tous assujettis à la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Cette dernière rappelle le principe du respect et de la protection de la vie humaine. Voilà nos valeurs universelles et celles que l’Europe, riche continent, devrait défendre comme son bien le plus précieux. Et de cela, nous en sommes encore bien loin. La vie semble ne pas avoir le même prix des deux côtés de la méditerranée et cela est pour moi, européenne, absolument inacceptable.