« L’Allemagne serait-elle à la veille d’assouplir la rigueur imposée aux pays européens en difficulté ? Une déclaration faite, lundi 16 juin, par le vice-chancelier et ministre de l’économie, Sigmar Gabriel, a agréablement résonné aux oreilles des Français. »
« En marge d’une visite à l’usine Airbus de Blagnac (Haute-Garonne) en compagnie de son homologue français, Arnaud Montebourg, M. Gabriel, qui est également président du Parti social-démocrate, a déclaré : « Personne ne peut accepter les déficits qu’on a aujourd’hui mais, pour les surmonter, il faut de la croissance, il faut de l’emploi. » Et le vice-chancelier de poursuivre, pour préciser son idée : « Une des solutions pour avoir plus de croissance pourrait être la suivante : les coûts qui sont occasionnés par toutes les mesures de politique de réforme (…) ne devraient pas être pris en compte dans les critères de déficit. C’est comme un marché àconclure, ceux qui sont décidés à réaliser des réformes, il faut leur donner un peu plus de temps pour les réaliser et ensuite correspondre aux critères de déficit. »
Un peu plus de temps pour ne pas imposer aux pays en difficulté des mesures qui, au moins à court terme, pèsent sur la croissance, c’est exactement ce que souhaite la France. C’est également ce que souhaite le président du conseil italien, Matteo Renzi. « L’Europe ne doit pas se concentrer seulement sur l’austérité, mais aussi sur la croissance », a récemment estimé M. Renzi. Pour M. Gabriel « cela va faire l’objet des discussions, des débats dans le cadre de la réorganisation de la politique de la nouvelle Commission européenne ».
M. Montebourg, hostile aux politiques de rigueur qui paralysent la croissance, a immédiatement salué les propos de son homologue allemand, dans lesquels il voit« un chemin de croissance et non de chaos ». « L’Europe doit maintenant se bouger et évoluer rapidement pour organiser la sortie de crise », a-t-il ajouté.
La France ne devrait pas se réjouir trop vite. Dans les heures qui ont suivi cette déclaration, un porte-parole du ministère des finances allemand rappelait les règles. « Personne dans le gouvernement ne remet en question les règles du pacte de stabilité et de croissance, qui offrent suffisamment de flexibilité pour rendre possible une consolidation des comptes favorable à la croissance. »
MÊME DISCOURS
D’ailleurs, poursuivait le ministère, sans doute à l’adresse de la France : « Les pays qui mènent des réformes structurelles pour que leur croissance progresse de façon durable ont d’ores et déjà obtenu davantage de temps pour réduire leur déficit. » Fermez le ban.
En apparence, l’opposition est totale entre M. Gabriel et le ministre des finances, Wolfgang Schäuble (Parti chrétien-démocrate). La réalité est plus complexe. Les deux hommes s’entendent fort bien. Si le premier avait voulu changer la politique économique de l’Allemagne, il aurait revendiqué pour son parti le ministère des finances lors de la constitution de la coalition. Il n’en a rien fait et a laissé ce poste-clé à M. Schäuble.
La déclaration de M. Gabriel à Blagnac n’est évidemment pas fortuite. La chancelière Angela Merkel sait qu’elle et ses alliés européens vont avoir besoin des sociaux-démocrates pour gouverner l’Europe les cinq prochaines années. Or ceux-ci vont insister pour réorienter, au moins formellement, la politique européenne.
Cette réflexion fait son chemin dans les milieux économiques allemands. « Le principe de prendre en compte les investissements est le bon, estime l’économiste Henrik Enderlein, directeur du nouvel Institut Jacques Delors de Berlin. Même s’il ne faut sans doute pas changer les règles européennes, il faut les interpréter et les appliquer d’une façon intelligente. » Une analyse que ne renieraient sans doute ni M. Gabriel ni M. Schäuble. »
Par Frédéric Lemaître (à Berlin) et Patrick Roger