A quelques jours du début du déconfinement, le secrétaire général de la CFDT estime que « nous aurons besoin d’une autre répartition des richesses et d’une contribution accrue des plus riches ».
Le secrétaire général de la CFDT insiste pour que la reprise d’activité se fasse dans le cadre du dialogue social. Il plaide à l’avenir pour un nouveau mode de développement et plus de solidarité.
A quelques jours du début du déconfinement, estimez-vous que le pays est prêt ?
Dans le monde du travail, je ressens une forme de fatigue psychologique. Ceux qui sont en première ligne, à leur poste, vivent une situation tendue, même quand ils ont des équipements de protection. Ceux en télétravail se trouvent dans des contextes différents et parfois éprouvants, entre les devoirs scolaires des enfants et des logements trop exigus. Enfin, ceux qui sont en chômage partiel subissent, pour une partie d’entre eux, une perte de revenus et commencent à rencontrer des difficultés financières. Dans certaines entreprises, des salariés ont envie de revenir, d’autres ne le souhaitent pas car ils ont peur. Faut-il déconfiner le 11, 18 ou 25 mai ? Je n’en sais rien. Mais le retour au travail ne doit intervenir que dans des conditions de sécurité maximales.
Le ministère du travail a diffusé ses préconisations sanitaires pour les entreprises. Sont-elles compatibles avec la protection des salariés ?
Ce guide émet des recommandations précises en termes de santé, mais ne dit rien sur la méthode sociale pour y parvenir. C’est son grand manque. C’est incroyable qu’il n’y ait pas au minimum une explication pour dire que ces préconisations doivent être mises en œuvre dans le cadre d’un dialogue interne. Les entreprises qui vont l’appliquer de manière unilatérale risquent de passer à côté de l’essentiel, c’est-à-dire redonner confiance aux salariés.
Le 30 avril, vous avez signé une déclaration commune avec le Medef pour que la reprise d’activité se fasse dans la concertation. Les employeurs vont-ils jouer le jeu ?
Il y a des entreprises dont le premier réflexe, quand elles préparent la reprise d’activité, est de contacter les élus du personnel et le processus se passe bien. Dans d’autres, on a le sentiment que les choses se déroulent sans que les salariés ou leurs représentants soient associés. La logique du vertical où quelques personnes décident pour tout le monde ne peut pas être la solution.
Le patronat veut que la loi soit modifiée afin que la responsabilité pénale des entreprises soit atténuée, voire exclue, en cas d’événements exceptionnels comme l’épidémie de Covid-19. Qu’en pensez-vous ?
Ce serait un très mauvais signal que de faire évoluer la loi. Il faut une obligation de moyens renforcée. C’est sur ce sujet que doit être évaluée la responsabilité pénale ou civile des entreprises. Des patrons vont être en capacité de donner toutes les garanties de sécurité à leurs salariés : est-on sûr d’éviter in fine la contamination ? Non, mais ça sécurise sacrément. Si un dialogue social est mis en œuvre, la confiance est là. Et dans la phase du déconfinement, c’est de confiance dont on aura besoin.
Jugez-vous que les conditions sont réunies pour rouvrir les écoles à partir du 11 mai ?
C’est étonnant que l’on ne soit pas capable de donner davantage de lignes claires. Quand une réouverture est envisagée, il faut accorder du temps à la communauté éducative pour évaluer si c’est possible ou non. Aucun d’entre nous n’est capable de dire quand son enfant reprendra l’école. Et à chaque fois que la parole est flottante, c’est compliqué de s’y retrouver. D’autant plus que le retour en classe est laissé au libre choix des parents. Tout ne peut pas être renvoyé à leur seule responsabilité. Cela va compliquer le quotidien des travailleurs et engendrer beaucoup d’angoisse.
Le chômage partiel concerne plus d’un salarié sur deux aujourd’hui. Comment en sortir sans dégâts sur l’emploi ?
C’était la réponse adaptée. En 2008-2009, on avait assez critiqué le fait que ce dispositif n’avait pas été suffisamment utilisé, ce qui avait engendré des destructions significatives d’emplois. Est-ce qu’il peut cesser de s’appliquer du jour au lendemain ? Non. Il va falloir réduire la voilure petit à petit, à mesure de la reprise d’activité, mais continuer à y avoir recours, là où le besoin s’en fait sentir, tout en effectuant davantage de contrôles pour que les entreprises n’en abusent pas, à l’image de SFR au début du confinement.
Faut-il s’attendre à une forte hausse du chômage ?
Il serait totalement absurde de ne pas considérer l’existence d’un risque massif sur l’emploi. Pour éviter les suppressions de postes, il faut continuer d’activer des dispositifs comme le chômage partiel, la formation professionnelle, l’accompagnement des salariés vers une évolution de carrière quand ils le souhaitent. Et il est temps de se mettre autour de la table pour inventer toutes les solutions utiles.
Craignez-vous que les mesures d’exception prises récemment par ordonnances, comme sur le temps de travail, soient maintenues au-delà de la crise sanitaire ?
S’agissant des possibilités offertes aux employeurs de déroger aux règles sur le temps du travail, aucun décret n’a été pris, à ce stade. Et je souhaite qu’on en reste là. Pour le reste, les dispositions mentionnées dans ces ordonnances doivent n’avoir qu’une durée limitée dans le temps. Il en va des droits sociaux comme des libertés publiques ou syndicales.
Les aides exceptionnelles que le gouvernement a débloquées, mi-avril, en faveur des plus démunis vous paraissent-elles à la hauteur ?
C’est un premier pas à souligner, comme l’aide aux jeunes annoncée lundi 4 mai. Mais c’est insuffisant. Nous réclamons 250 euros par mois et par personnependant toute la durée du confinement et que le RSA soit versé aux moins de 25 ans. Ce qui me préoccupe par-dessus tout, c’est la situation de ceux qui faisaient déjà partie des plus fragiles avant la crise et dont les difficultés s’accentuent.
Je ne dis pas que les pouvoirs publics n’ont rien fait, mais ces gestes doivent être pérennes car le risque est grand que ces publics soient oubliés par la suite. Notre pays va devoir faire preuve de beaucoup plus de solidarité que par le passé.
L’effort que vous évoquez implique de mobiliser d’énormes ressources : où les trouver ?
La boussole ne doit pas être la réduction à marche forcée de la dette : s’engager dans cette voie ferait courir un nouveau risque politique et démocratique à notre pays, avec, qui plus est, la forte probabilité d’une aggravation de la pauvreté. L’objectif doit être la recherche d’un modèle soutenable sur le plan économique, écologique et social. Pour autant, comme dans tous les pays européens, il y aura une « dette Covid » qui peut s’étaler sur une très longue durée. La BCE doit également en reprendre une partie.
Faut-il revoir notre fiscalité ?
Nous aurons besoin d’une autre répartition des richesses et d’une contribution accrue des plus riches. Ça veut dire appliquer aux revenus du capital le même barème que celui des revenus du travail, instaurer un impôt unique progressif sur le capital, ajouter une tranche de 50 % dans le barème de l’impôt sur le revenu au-delà de 300 000 euros de ressources annuelles ou encore refondre les droits de succession et de donation sur les gros patrimoines. Et peut-être, aussi, lancer un grand emprunt national pour investir davantage dans l’écologie et le « care » – le soin accordé aux autres.
Que faut-il pour les travailleurs qui sont montés en première ligne durant la crise sanitaire ?
Dans le privé comme dans le public, au-delà des primes, leurs salaires doivent être améliorés. Il convient aussi de revoir les classifications professionnelles et de mieux prendre en compte certaines compétences, liées à une utilité sociale élevée. Ce sont des discussions qu’il faudra impulser et qui devront être menées au sein des branches, s’agissant du privé.
Pour les soignants de la fonction publique hospitalière, se pose la question des ressources allouées à celle-ci…
L’hôpital public a été trop saigné, si bien que les personnels ont dû déployer d’énormes efforts. C’est la démonstration que nous avons là une richesse et non pas un coût. Il n’y a aucune économie à réaliser sur le champ de la santé, ni sur celui de la vieillesse. Si, demain, la logique est de serrer les boulons, nous irons droit dans le mur et nous nous exposerons à un choc démocratique profond. Il va falloir investir socialement, écologiquement. Soit nous transformons cette crise en opportunité pour repenser notre modèle de développement, et la CFDT répondra présente, soit on nous vend du rêve ou du sang et des larmes et ça ne marchera pas. C’est pour cette raison que nous appelons à une grande conférence écologique et sociale du pouvoir de vivre, pour définir les grands principes sur lesquels il faut construire.
Le gouvernement a-t-il été à la hauteur de cette crise ?
Sur les problématiques économiques et sociales, il a fait face. Sur la dimension sanitaire, je ne suis pas qualifié pour me prononcer, même s’il y a eu un problème sur les masques. Ce n’est pas normal, il faudra en reparler. Savoir si le gouvernement a été à la hauteur de cette crise, ce n’est pas ma préoccupation du moment.
Comment percevez-vous le climat social ?
Il est préoccupant. Le niveau de confiance dans le pays est faible, la tentation de la conflictualité est forte parce qu’il y a des situations d’inégalités et une absence de visibilité sur la suite. Nous nous en sortirons si chaque acteur politique, économique et social assume sa part de responsabilité. Le monde d’après ne sera pas celui des gagnants contre les perdants. Il se bâtira sur le compromis, il nous faut des orientations communes et je veux que la CFDT participe à leur définition.
Propos recueillis par Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières