
Note de synthèse
Le présent rapport analyse les données d’une enquête réalisée par la FSESP, avec le soutien du Comité des jeunes de la CES et du Forum européen de la jeunesse. Les don- nées étudiées représentent la vision qu’ont 1394 jeunes du travail, des syndicats et de la société. Cette enquête ciblait les jeunes âgés de moins de 35 ans en Europe. Le rapport est structuré comme suit : après une brève mise en contexte, les méthodes sont expliquées, puis les ré- sultats de l’enquête sont présentés. L’analyse est divisée en trois parties. La première porte sur la vision qu’ont les répondants du marché du travail, la deuxième sur la ma- nière dont ils perçoivent les syndicats, et la troisième sur leur participation à la société au sens large.
Les principaux éléments suivants ont pu être observés :
- La majorité des répondants sont employés sous contrat et travaillent au moins 35 heures par semaine, et ce, en dépit du nombre croissant d’emplois précaires occupés par des jeunes.
- Les données qualitatives révèlent toutefois que les jeunes restent préoccupés par la sécurité de l’emploi et la précarité.
- Dans ce contexte, les plus jeunes travailleurs (24 ans ou moins) et les étudiants souhaiteraient décrocher un emploi avec un contrat de travail standard.
- Les principales raisons évoquées pour l’adhésion à un syndicat restent cohérentes avec les études précé- dentes : amélioration du salaire et des conditions de travail, foi dans les syndicats et aide en cas de pro- blème au travail.
- Les principales raisons pour lesquelles les répondants n’avaient pas adhéré à un syndicat étaient que personne ne le leur avait proposé (19%) et qu’ils n’avaient pas pris le temps de le faire (18%). Ces réponses sont encourageantes pour les perspectives de syndicalisation.
- Les membres de syndicats passifs étaient plus disposés à quitter leur syndicat à l’avenir, ce qui montre la nécessité de maintenir les interactions avec les membres existants pour les conserver dans nos rangs.
- Les hommes sont considérablement plus enclins à s’engager dans des activités et organisations sociales.
- Les membres actifs de syndicats sont plus susceptibles de jouer un rôle actif dans la société au sens large. Ces observations seront utiles à la FSESP et aux syndicats affiliés pour la poursuite de leur travail de syndicalisation des jeunes travailleurs et de défense des services publics.
Contexte
Ce rapport présente les conclusions d’une enquête relative au regard que portent les jeunes sur le travail, les syndicats et la société en Europe. Réalisée entre novembre 2018 et début 2019, cette enquête explore l’attitude des membres et non-membres à l’égard du travail, de l’emploi, de la participation citoyenne et du syndicalisme.
Les syndicats du monde entier voient leur nombre de membres et leur influence décroître de façon spectaculaire depuis les années 1980. Les raisons du déclin des syndicats varient d’un pays à l’autre et sont attribuées à un éventail de facteurs socioéconomiques et politiques (Crouch, 2017 ; Vandaele, 2019). En réaction, les syndicats ont tenté de se relever, souvent au travers de stratégies de syndicalisation ou de tentatives plus générales de syndicalisme com- munautaire et de constitution de coalitions (Murray, 2017). La nécessité pour les syndicats d’augmenter leur attrait auprès des groupes traditionnellement sous-représentés, notamment les jeunes travailleurs, est au centre de toutes ces approches.
Les jeunes travailleurs ont été particulièrement touchés par les grands changements survenus dans l’économie mon- diale, étant donné que ces changements ont renforcé l’insécurité et l’instabilité de l’emploi. Alors que la position des jeunes travailleurs sur le marché du travail devient de plus en plus précaire, il serait logique qu’ils adhèrent à des syndicats pour se protéger. Pourtant, la plupart des jeunes n’en font rien. On pourrait dire que l’avenir du mouvement syndical dépendra de la mesure dans laquelle les syndicats pourront s’adapter aux réalités difficiles auxquelles sont confrontés les jeunes d’aujourd’hui.
De nombreux universitaires et syndicalistes ont dressé la liste des raisons pour lesquelles les jeunes ne se syndica- lisent pas (pour une analyse plus approfondie, voir Hodder et Kretsos, 2015). Premièrement, il est important d’exami- ner la nature des marchés du travail. Depuis la crise financière mondiale (2007-2008), les gouvernements promeuvent de plus en plus des formes d’emploi atypiques, qui, pour les travailleurs, sont synonymes d’emplois plus précaires et d’une protection sociale considérablement plus faible. Ces politiques ont eu un impact disproportionné sur les jeunes travailleurs, tandis que les jeunes sont touchés par des taux de chômage élevés et que ceux qui parviennent à trouver un travail risquent de plus en plus que leur emploi soit assorti d’un niveau élevé d’insécurité et d’instabilité. Il apparaît depuis longtemps que les employeurs sont plus enclins à résister à la syndicalisation en période de chômage élevé, ce qui peut avoir des répercussions négatives sur la syndicalisation des jeunes, étant donné que ces derniers peuvent craindre d’être victimisés s’ils adhèrent à un syndicat. Le manque d’organisation syndicale dans les secteurs qui emploient les jeunes vient encore aggraver la situation. En effet, face à des conditions de travail précaires dans un environnement non syndicalisé, les jeunes travailleurs doivent souvent choisir soit d’exprimer leurs revendications soit de partir, et ils décident le plus souvent de partir. Si la nature des marchés du travail réduit les chances des jeunes de travailler dans des secteurs syndicalisés, il est probable que les travailleurs tardent à découvrir le syndicalisme et, par conséquent, qu’ils ne se syndiquent jamais.
D’aucuns avancent également que les jeunes ont une opinion négative des syndicats et ont un comportement et une vision plus individualistes – autant d’éléments clés dans leur décision d’adhérer ou non à un syndicat. À cet égard, certains soutiennent que les jeunes travailleurs ont tendance à moins s’attacher à leur lieu de travail à cause des chan- gements qui touchent le marché du travail, comme expliqué plus haut.
Par conséquent, ils sont plus enclins à remettre en cause les avantages de la syndicalisation. Une étude menée en Australie a démontré que certains jeunes pensaient que seules les « victimes » avaient besoin de se syndiquer (voir Bulbeck, 2008). En outre, les jeunes travailleurs perçoivent parfois le coût de l’adhésion à un syndicat comme un pro- blème, bien que de nombreux syndicats aient réduit leurs cotisations pour remédier à cette situation. Il est clair que les « attitudes vis-à-vis de la société, du travail et de l’économie se dessinent à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine » (Lowe et Rastin, 2000 : 214). Il est donc important de considérer les nombreux facteurs susceptibles d’in- fluencer l’attitude des jeunes à l’égard du syndicalisme. Par exemple, certains ont longtemps suggéré que les jeunes avaient plus tendance à être syndiqués si leurs parents l’étaient également. D’autres ont constaté que le déclin de la transmission des valeurs syndicales dans la société influençait les taux de syndicalisation chez les jeunes travailleurs.
Il a également été avancé que les jeunes travailleurs pouvaient avoir l’impression que les syndicats représentaient uniquement les intérêts des travailleurs plus âgés. Cependant, la majorité des données indiquent que les jeunes tra- vailleurs ne manifestent qu’une faible opposition idéologique aux syndicats (voir Waddington et Kerr, 2002 ; Tailby et Pollert, 2011 ; Vandaele, 2018) et expriment en réalité une « légère inclination positive envers les syndicats ». Leur pro- pension à l’adhésion est toutefois freinée par un manque de connaissances des activités des syndicats (Freeman and Diamond, 2003 : 30). Ce manque de connaissances est parfois confondu, à tort, avec une certaine apathie. Freeman et Diamond (2003) soutiennent que les jeunes sont plutôt comme des « pages blanches » lorsqu’ils commencent à travailler, qu’ils ont tendance à être « malléables » et qu’ils peuvent donc s’ouvrir à la syndicalisation, si celle-ci leur est bien expliquée. L’image et le marketing des syndicats revêtent donc une grande importance tant de manière générale que lorsqu’ils s’adressent plus spécifiquement aux jeunes. L’amélioration de l’interaction sociale entre les syndicats et les jeunes pourrait notamment passer par l’éducation, et ce, dès le lycée.
La troisième raison du faible niveau de syndicalisation des jeunes repose sur le sentiment d’échec que les syndicats éprouvent eux-mêmes quant à leurs tentatives d’implication des jeunes. La relation qu’ils entretiennent avec ces der- niers n’a pas toujours été positive et, à travers le monde, les syndicats n’ont pas tous créé des organisations dédiées à la jeunesse dans la même mesure. On peut soutenir que les syndicats ont commencé à reconnaître la nécessité d’attirer les jeunes lorsqu’ils ont décidé de recruter de nouveaux membres. Malgré tout, d’aucuns affirment que ces initiatives ne fonctionnent que rarement, car elles risquent d’isoler les jeunes travailleurs des autres membres du syn- dicat et sont souvent considérées comme inadéquates s’agissant de l’engagement des responsables syndicaux. Les syndicats ciblent néanmoins de plus en plus les jeunes de manière plus concrète, en intégrant des problématiques qui les touchent dans les structures syndicales au sens large et en créant des liens avec des organisations externes pour sensibiliser les jeunes à l’importance du syndicalisme. Les syndicats tentent ainsi de réfuter la perception géné- rale (et souvent fausse) selon laquelle les jeunes manquent de valeurs collectives et sociales. Aussi, en les considérant comme des « pages blanches », ils essaient d’agir pour leur transmettre l’importance de ces valeurs. Ce travail de grande ampleur a été entrepris au niveau des lieux de travail, des régions, des pays et de l’Europe (Vandaele, 2012 ; Vandaele, 2015 ; Vandaele, 2018). Cependant, la mesure de son succès est contestable, car les taux d’adhésion des jeunes demeurent faibles.
Bien que de plus en plus d’études portent sur la relation entre syndicats et jeunes travailleurs (voir Hodder et Kretsos, 2015 ; Vandaele, 2018), elles se concentrent généralement sur un seul syndicat et sur l’attitude des syndicalistes à l’égard de la syndicalisation des jeunes plus largement. En raison de sa nature paneuropéenne, cette enquête fournit d’importantes informations quant aux opinions des jeunes sur le travail, les syndicats et la société, et elle fait progres- ser les connaissances universitaires et syndicales à ce sujet.
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Méthode
Des données quantitatives et qualitatives ont été recueillies dans le cadre d’une enquête transculturelle. Le questionnaire a été rédigé par le Réseau Jeunesse de la FSESP et publié dans dix langues : allemand, anglais, espagnol, français, italien, roumain, russe, suédois, tchèque et turc. L’enquête a été lancée par la FSESP et son Réseau Jeunesse et principalement partagée sur les réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter. Le Forum européen de la jeunesse a soutenu cette enquête et a joué un rôle clé dans sa diffusion. En raison de l’utilisation de la méthode de l’échantillonnage virtuel en boule de neige, l’enquête a été largement diffusée au sein de « cercles syndicaux », en particulier dans le secteur public, et les résultats tendent donc à exprimer davantage les opinions de ce groupe spécifique de jeunes. Autrement dit, aucune généralisation n’est possible en dehors de ce groupe. En outre, en conséquence de la méthode de diffusion (et de la disponibilité de l’enquête dans certaines langues seulement), les répondants sont représentés de manière fortement inégale dans les 43 pays. Par conséquent, le nombre de répon- dants par pays n’est représentatif ni de la population dans son ensemble ni des salariés syndiqués.
Afin de tenter de remédier aux nombres inégaux de répondants par pays, les pays ont été répartis dans cinq groupes régionaux, largement inspirés des collèges électoraux de la FSESP et de caractéristiques politico-juri- diques communes de leurs systèmes nationaux de relations sociales, entre autres. Il s’agit des groupes suivants : (1) le collège du Benelux (Belgique, Luxembourg et Pays-Bas) et le collège germanophone (Allemagne, Autriche et Suisse) (19%), (2) le collège d’Europe centrale (Croatie, Ex-République yougoslave de Macédoine – ERYM, Hongrie, Kosovo, Monténégro, Serbie, Slovaquie, Slovénie et Tchéquie) (16%), (3) le collège du Royaume-Uni et de l’Irlande et le collège nordique (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) (22%), (4) la France et le collège Méditerranée (Andorre, Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Malte et Portugal) (16 %) et (5) le collège Europe du Nord-Est (Arménie, Biélorussie, Estonie, Géorgie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Ukraine), le collège Russie et Asie centrale (Russie), et le collège Europe du Sud-Est (Albanie, Azerbaïdjan, Bulgarie, Roumanie et Turquie) (28%).1 Le contrôle des variations régionales dans le rapport repose donc sur ces cinq groupes de pays.
Remarque : Erreurs d’arrondi possibles. Source : Résultats de l’enquête.
Étant donné que l’enquête portait sur l’attitude des jeunes face au travail, à l’emploi, aux syndicats et à la société, il convient de préciser l’âge des répondants. En dépit de tout désaccord quant à la signification de l’expression « jeune travailleur », la majorité de l’échantillon (87 %) était âgée de moins de 35 ans et correspondait donc au public cible de l’enquête. Les catégories d’âge présentaient un certain équilibre entre les sexes – les femmes de moins de 24 ans et les membres de 31 à 34 ans étant légèrement plus nombreux à répondre à l’enquête.
Les données qualitatives ont été soumises à une analyse thématique (King, 1998). Dans cette approche, le cher- cheur détermine certains codes qui représentent des thèmes propres au domaine étudié et il effectue un travail à mi-chemin entre l’analyse de contenu – où les codes sont tous prédéfinis et leur distribution est analysée de manière statistique – et la théorie empirique – sans définition préétablie des codes. Plusieurs codes ont été éta- blis a priori, avant d’être modifiés et ajoutés au fil des recherches.