L’agriculture fait actuellement l’objet de débats vifs en Europe. L’épisode des discussions confuses menant à la prolongation d’autorisation du « Glyphosate » en Europe pour 5 ans et la proposition de réforme de la PAC pour 2020-2027 qu’esquisse la Commission européenne marquent simultanément l’incapacité de l’Union européenne et des Etats membres à projeter l’Europe agricole dans un avenir commun. L’ambition de la Politique Agricole Commune lors de sa création était de nourrir les européens, cette politique reste la seule grande politique européenne dotée de moyens significatifs (60 milliards d’€).
Le marché agricole européen est unifié. Depuis sa création, la Politique Agricole Commune repose sur les principes d’unicité du marché et de solidarité financière des Etats membres. Les propositions qu’esquisse la commission européenne pour la prochaine réforme de la PAC tendraient à renforcer la subsidiarité des Etats notamment concernant le volet environnemental de la PAC. Cette proposition est faite juste après que les Etats européens aient acté la prolongation de l’autorisation du glyphosate pour 5 ans et que la France se soit démarquée de cette décision en proposant une sortie, si possible, à échéance de 3 ans. Les effets conjugués de l’application possible de tels projets interrogent à plusieurs niveaux :
D’une part, s’il est logique que des mesures environnementales ayant une portée locale soient décidées et financées ou cofinancées par les Etats ou pouvoirs locaux, certains grands enjeux environnementaux doivent être relevés au niveau européen. C’est le cas de l’enjeu majeur de la lutte contre le changement climatique auquel doit contribuer globalement l’agriculture européenne.
D’autre part, un renforcement de la subsidiarité pour l’attribution des aides directes (avec co-financement possible des Etats) induit de fait des distorsions de concurrence entre les agriculteurs européens.
Par ailleurs, l’application de normes différenciées selon les pays (utilisation possible ou pas du glyphosate par exemple) induit aussi de nouvelles distorsions de concurrence entre agriculteurs sans garantie de visibilité des normes pour les consommateurs. En effet, même si les industries de transformation sont localisées en France, elles s’approvisionnent sur un marché ouvert. Ce mécanisme doit aussi être intégré aux réflexions des Etats Généraux de l’alimentation.
En effet, les discussions actuelles menées dans le cadre de cette concertation nationale, marquent la volonté politique de mieux répartir la valeur ajoutée entre les acteurs de filières plus organisées. Cette répartition devrait mieux prendre en compte les coûts de production agricoles. Si cette orientation peut sembler empreinte de bon sens, elle pourrait être opportune dans un marché fermé et non pas dans le cadre du marché unique européen et dans un marché mondialisé dont les flux de produits agricoles et alimentaires ne cessent d’augmenter, et sont renforcés par la signature d’accords commerciaux, passés et en discussion (TAFTA – CETA).
L’organisation des filières est opportune pour des produits fortement démarqués par leur origine géographique, d’où la nécessité de faire reconnaitre les signes de qualité liés à l’origine géographique des produits dans les négociations internationales. Pour les produits génériques qui représentent la majeure partie des volumes de production agricole, cette politique renforcera inévitablement la part des importations de produits alimentaires et la part des importations de produits destinés à la transformation des industries agroalimentaires françaises. Dans un marché ouvert, selon des mécanismes singuliers mais comme d’autres secteurs, l’agriculture est délocalisable.
Les discussions sur la future réforme de la politique agricole commune, le positionnement singulier de la France dans la discussion européenne sur le glyphosate et les conclusions intermédiaires des Etats généraux de l’alimentation fragilisent cette politique européenne. Cette politique doit certes évoluer, en termes d’objectifs et d’instruments, mais c’est bien à l’échelle européenne que doit se construire un espace de production agricole et alimentaire, à forte valeur ajoutée et respectueux de l’environnement.
Karine Daniel est économiste, directrice de recherches à l’Ecole Supérieure d’Agricultures d’Angers. Députée en 2016 et 2017, rapporteure pour le Commission de Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale du rapport n°4549 sur l’ « Avenir de la Politique Agricole Commune après 2020 ».