A peine une dizaine d’accords interprofessionnels ont été conclus depuis que le dialogue social a été institué en Europe. Les objectifs de plus en plus discordants des partenaires sociaux et le désinvestissement progressif de la Commission Européenne sont en cause.
L’Europe sociale en avait presque perdu l’habitude : le 8 mars 2017, les représentants des salariés et des employeurs européens signaient un accord interprofessionnel sur le vieillissement actif et la dimension intergénérationnelle. Obtenu après neuf mois de négociations, cet accord autonome doit être mis en œuvre sous trois ans par les partenaires sociaux au niveau national. Sa signature est une première depuis la conclusion, en 2010, de l’accord autonome sur les marchés du travail inclusifs. La preuve d’un retour en grâce du dialogue social interprofessionnel en Europe après des années semées d’insuccès (échecs de la révision de la directive sur le temps de travail en 2012 et des discussions sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle en 2016) ?
Une relance, mais sur quelle base ?
Un esprit de relance semble en effet vouloir souffler sur la concertation sociale en Europe. Lors de son investiture à la tête de la Commission européenne en 2014, Jean-Claude Junker s’était solennellement engagé à placer sa présidence sous le signe du dialogue social.
« Son arrivée a été porteuse de grands espoirs », note Christophe Degryse, responsable de l’Unité prospective à l’European Trade Union Institute, centre d’expertise lié à la Confédération européenne des syndicats (CES). « La Commission européenne est un acteur important du dialogue social interprofessionnel, qu’elle a pour mission de promouvoir. Mais elle n’est pas le seul. Or, début 2018, nous sommes toujours dans l’expectative de la base sur laquelle il peut être relancé », tempère-t-il.
Volonté de réformes contre peur de démantèlement
Car les partenaires sociaux sont loin d’être sur la même longueur d’onde. « S’assurer que le dialogue social est réellement pertinent au regard du développement économique et social est au coeur de nos préoccupations. Pour nous, ces deux dimensions sont indissociables et elles doivent progresser en même temps, en prenant également en compte la diversité des situations en Europe et leur évolution. C’est l’augmentation de la productivité et la création d’emplois qui nous permettront de maintenir à l’avenir le bien-être social qui caractérise l’Europe à l’échelle du monde» », insiste ainsi Maxime Cerutti, directeur des Affaires sociales de BusinessEurope, l’une des trois associations patronales européennes.
Autrement dit, c’est d’un « partenariat pour les réformes » dont BusinessEurope voudrait aujourd’hui discuter avec les syndicats. Or l’expression sonne bien mal aux oreilles de ces derniers. Ils perçoivent surtout, dans le mot réforme, le risque de démantèlement de certains droits sociaux, l’inverse de ce qu’ils recherchent.
En réalité, la période de vaches maigres pour le dialogue interprofessionnel ne date pas d’hier. Il est loin le temps de Val Duchesse, lorsque Jacques Delors posait, en 1985, les premières fondations du dialogue entre partenaires sociaux, dont les termes ont été définis dans un accord en 1991, puis annexés au Traité de Maastricht en 1992. Ainsi formalisé, le dialogue social interprofessionnelprévoit que les partenaires sociaux reconnus, BusinessEurope, l’UEAPME et CEEP côté employeurs, et la CES côté syndicats, sont consultés par la Commission sur les propositions sociales. Syndicats et patronat peuvent également négocier des accords de leur propre initiative.
Un âge d’or révolu
A l’époque où l’Europe s’apprêtait à lancer son marché intérieur, le champs de toutes les discussions semblait ouvert. Près de trente ans plus tard, pourtant, elle ne peut s’enorgueillir que d’une dizaine d’accords interprofessionnels. Circonstance accablante, la plupart d’entre eux ont été conclus durant une période d’à peine dix ans, qui fait depuis longtemps figure d’âge d’or révolu. « Le dialogue interprofessionnel fonctionne bien quand les partenaires sociaux s’engagent et que la Commission Européenne joue les arbitres impartiaux. Or, il a été délaissé sous la Commission Barroso (2004-2014). Au nom de l’autonomie des partenaires sociaux, les institutions européennes se sont mises en retrait », explique Christophe Degryse.
Aux trois accords-cadre initiaux transformés en directives (congé parental – 1995, révisé en 2009, travail à temps partiel – 1997, à durée déterminée – 1999), ont succédé des accords autonomes, mis en application au niveau national par les partenaires sociaux eux-mêmes (télétravail – 2002, stress au travail – 2004 , harcèlement et violence au travail – 2007 et marchés du travail inclusifs – 2010. Ils ont eu pour résultat des mises en œuvre inégales, voire inexistantes dans certains pays d’Europe centrale ou orientale, moins bien pourvus en traditions sociales. Un bilan, qui, même tronqué puisqu’il ne prend pas en compte d’autres formes de concertations, doit être mis en regard des ambitions nourries il y a trente ans à Val Duchesse, lorsque le dialogue entre partenaires sociaux était appelé à devenir le pilier d’une Europe résolument sociale.
Par : Angélique Mounier-Kuhn