La loi ALUR de 2014 a institué deux outils, la coopérative d’habitants et l’organisme foncier solidaire, pour lutter contre les coûts qui s’envolent. Les élus en font peu la promotion. En Suisse, pourtant, les coopératives sont une solution éprouvée.
De nombreuses villes européennes font face au même casse-tête, qui devient de plus en plus insoluble : avec le prix du mètre carré qui s’envole, elles ne peuvent plus accueillir leurs travailleurs-clés (éboueurs, infirmiers, conducteurs de bus, employés des commerces et des services) et poussent les classes moyennes à l’exil. En France, le ministre chargé du logement, Julien Denormandie, planche en ce moment sur la question. Un rapport vient de lui être remis, en même temps qu’au premier ministre, par le député Jean-Luc Lagleize (MoDem) et propose plusieurs pistes pour « maîtriser le coût du foncier dans les opérations de construction ».
Plusieurs outils pour créer du logement moins cher, pourtant, existent déjà et sont à disposition, mais les élus n’en font pas la promotion. L’un d’eux est le système de la coopérative d’habitants. Il est consacré dans la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014, qui avait été portée par Cécile Duflot, alors ministre de François Hollande. Cependant, en France, il ne décolle pas. Seules quatre opérations ont été livrées dans ce cadre, à Toulouse (la Cartoucherie), Villeurbanne (Le Village Vertical) et Vaulx-en-Velin (Chamarel, 16 logements pour seniors) dans le Rhône, à L’Isle-Jourdain, dans le Gers. Trente-six autres projets sont en cours et ont du mal à aboutir.
A Paris, où la question du coût de l’habitat se pose particulièrement, la ville a vendu trois terrains – plutôt ingrats et contraignants – à des groupes de coopérateurs. « L’un des groupes, Utop, qui rassemble surtout des intermittents du spectacle, fonctionne et le chantier, dans le 20e arrondissement, va bientôt démarrer », indique Christian Chevé, président de la Coopérative foncière francilienne. L’immeuble comptera 17 logements et devrait aboutir à un loyer de 13 euros le mètre carré.
Statut hybride
Pour comprendre l’intérêt de ce modèle, il faut aller en Suisse, où il est éprouvé et florissant. Dans la Confédération, de puissantes coopératives d’habitants logent 6 % des ménages, avec 160 000 habitations coopératives. Leurs loyers sont de 20 % à 30 % inférieurs à ceux du privé.
Dans ce schéma, une société est propriétaire de l’immeuble, les résidents en acquièrent des parts sociales, moyennant 5 000 à 10 000 euros, qu’ils récupéreront à la sortie, au prix initial non indexé. Les résidents paient à la coopérative un loyer calculé au plus juste pour couvrir ses emprunts à long terme, ses frais de fonctionnement, les charges et les provisions en vue de travaux.
EN SUISSE, DES COOPÉRATIVES D’HABITANTS LOGENT 6 % DES MÉNAGES. LEURS LOYERS SONT DE 20 % À 30 % INFÉRIEURS À CEUX DU PRIVÉ
Tout habitant est ainsi à la fois locataire et coopérateur. Il participe aux décisions et possède un droit de vote sur le principe « un habitant, une voix ». Son statut est donc hybride, entre le locataire et le propriétaire. Ce qui imposerait, en France, une mue des mentalités.
C’est à Zurich, capitale de la coopérative d’habitants, qu’a été développée dès 1907 cette formule, lors de l’industrialisation de la ville, pour loger les ouvriers souvent regroupés par corporations. « Dans les années 1990, il existait beaucoup de logements vides et squattés et ce sont les squatteurs eux-mêmes qui ont obtenu de la ville le droit de recréer des coopératives pour récupérer des bâtiments et les transformer en logements », raconte Martin Lepoutre, architecte français installé dans la ville suisse, où il assure les fonctions de maître d’ouvrage chargé de traduire en projet architectural les désirs des associés de la coopérative Kalkbreite.
Dès la conception d’un immeuble, ses futurs habitants sont mis à contribution dans un esprit de partage des espaces communs, dont les surfaces sont généreuses : salles d’activités, pièces de répétition de musique, cafétéria, buanderie, chambres d’hôtes, jardins partagés, local à vélo… Dans une opération de Kalkbreite, un terrain situé au-dessus des voies du tram, 86 appartements (bientôt 148), il y a tout cela, avec un local à vélos pouvant en accueillir 400. Rien à voir avec la production standardisée des promoteurs français, aux surfaces comptées et aux parties communes réduites à leur plus mesquine expression.
Liste d’attente de 4 000 candidats
« Chaque fois que je voyais un immeuble intéressant au plan architectural, il avait été réalisé par une coopérative zurichoise et proposait une grande qualité de vie, avec des espaces verts, des terrasses, des loggias magnifiques et une liaison très habile entre l’intimité de l’appartement et les espaces communs. C’est le résultat de l’implication des habitants », témoigne Dominique Boudet, critique d’architecture. Il est à l’origine, avec Martin Lepoutre, d’une exposition sur les projets des coopératives zurichoises, à la Cité de l’architecture, à Paris, jusqu’au 19 janvier.
« Nous pouvons proposer une architecture de plus en plus radicale, avec des colocations pour 15 personnes dans des “clusters” de 400 mètres carrés, des appartements et ateliers d’artistes avec 70 mètres carrés de surface de stockage pour leurs œuvres », explique Andreas Höfer, architecte aujourd’hui installé à Stuttgart, où il est missionné pour développer le concept après avoir fondé l’une des coopératives les plus innovantes de Zurich, Kraftwerk.
« SI LA CHARGE DE LA DETTE VIENT À S’ALLÉGER, CE QUI EST LE CAS AVEC LA RÉCENTE BAISSE DES TAUX, NOUS DIMINUONS LES LOYERS », SE FÉLICITE ERIC ROSSIAUD, DIRECTEUR ET L’UN DES FONDATEURS DE LA CODHA.
Genève a adapté le modèle zurichois et compte aussi de dynamiques coopératives, comme la Codha. « Les résidents sont associés dès la conception, puis à la gestion, dans une totale transparence des coûts, sans aucun but lucratif, et si la charge de la dette vient à s’alléger, ce qui est le cas avec la récente baisse des taux, nous diminuons les loyers », se félicite Eric Rossiaud, directeur et l’un des fondateurs de la Codha, créée en 1994.
La Codha tient une liste d’attente de 4 000 candidats coopérateurs qui sont contactés, par ordre chronologique d’inscription, dès qu’un logement est disponible. Elle exporte déjà son modèle en France, avec une première opération à Viry, près de Genève, en Haute-Savoie.
« Nous pouvons aussi répondre à des besoins très précis, par exemple à la demande de dix femmes seules, de 55 à 65 ans, qui nous ont sollicités pour une grande colocation, raconte Eric Rossiaud. Et à chaque nouvelle opération, nous envisageons des espaces communs hypertrophiés. Les halls d’immeubles deviennent des lobbies d’hôtel, avec cafétéria, communiquant avec la buanderie, des espaces de coworking, où un gardien-animateur organise des rencontres. Il est pour cela doté d’un budget, le 1 % apéro… »
Coût final du logement allégé
La coopérative est donc un outil très souple. Chacune fixe ses règles, de la petite structure quasi familiale, très sélective et un peu endormie sur sa richesse, aux grandes sociétés à la tête de 2 000 logements qui constituent ce que les Suisses appellent « la 3e voie » du logement, aux côtés du locatif privé et du logement subventionné.
Mais pour se développer, les coopératives doivent le faire avec l’appui des collectivités locales. « Dans les zones de développement, la Ville de Genève réserve 35 % du terrain au logement social dit d’utilité publique, 30 % au privé et 35 % aux coopératives comme la nôtre », précise M. Rossiaud.
Les Français seraient-ils, dans leur majorité, trop attachés à la pleine propriété pour que l’idée coopérative se développe ? La Suisse est, comme l’Allemagne, plutôt un pays de locataires : 62 % des Suisses, 78 % des Genevois, 80 % des Zurichois sont locataires.
« Depuis les années 1970 et en particulier la réforme de l’accession à la propriété de Raymond Barre, en 1977, la France a fait le choix du “tous propriétaires” et le climat anxiogène à propos des retraites ne fait qu’exacerber cette tendance, constate Anne d’Orazio, sociologue de l’habitat. Cela explique sans doute pourquoi les organismes fonciers solidaires (OFS), moins éloignés de l’idée que l’on se fait de la propriété, sont plus volontiers portés par les politiques, par les élus, et rencontrent un vrai succès. »
Les organismes fonciers solidaires, plus proches de la propriété traditionnelle, sont l’autre outil introduit par la loi ALUR en 2014. Ce dispositif-là connaît un certain succès. Ainsi, 350 acteurs des OFS, réunis à Rennes les 6 et 7 novembre, tirent un bilan très positif, cinq ans après le lancement du dispositif.
Aujourd’hui, 19 OFS sont déjà agréés et opérationnels, à Lille, Rennes, Paris, Lyon, Toulouse, Annecy, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) ou Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Ils vont livrer 9 200 logements d’ici à 2024. Vingt-cinq autres projets d’organismes sont dans les cartons.
Cette formule opère une dissociation entre le foncier et le bâti. Le terrain reste propriété d’un OFS à but non lucratif, qui l’acquiert à l’aide d’un prêt à très long terme, jusqu’à quatre-vingts ans. Il le loue quelques euros le mètre carré, ce qui allège singulièrement le coût final du logement – entre 17 % et 58 % plus bas qu’un achat classique, d’après les chiffres des 17 programmes déjà lancés.
Les résidents, soumis dans ce dispositif à des conditions de ressources, deviennent propriétaires du bâti, qui doit rester leur résidence principale. Ils pourront le revendre au prix d’achat indexé sur l’inflation. Une manière de leur assurer la possibilité de récupérer leur investissement.
Lille, en lançant deux opérations dès 2017, a été pionnière de ces OFS, sous l’impulsion d’Audrey Linkenheld, qui fut rapporteure de la loi ALUR. Rennes a aussi décidé de produire ainsi une centaine de logements par an. « Les notaires nous ont beaucoup soutenus, mais la difficulté est de trouver des banquiers prêts à financer les acquéreurs », pointe Mme Linkenheld. Ce système, peu connu, refroidit les établissements de crédit. Là encore, les mentalités doivent évoluer.
La Codha tient une liste d’attente de 4 000 candidats coopérateurs qui sont contactés, par ordre chronologique d’inscription, dès qu’un logement est disponible. Elle exporte déjà son modèle en France, avec une première opération à Viry, près de Genève, en Haute-Savoie.
« Nous pouvons aussi répondre à des besoins très précis, par exemple à la demande de dix femmes seules, de 55 à 65 ans, qui nous ont sollicités pour une grande colocation, raconte Eric Rossiaud. Et à chaque nouvelle opération, nous envisageons des espaces communs hypertrophiés. Les halls d’immeubles deviennent des lobbies d’hôtel, avec cafétéria, communiquant avec la buanderie, des espaces de coworking, où un gardien-animateur organise des rencontres. Il est pour cela doté d’un budget, le 1 % apéro… »
Coût final du logement allégé
La coopérative est donc un outil très souple. Chacune fixe ses règles, de la petite structure quasi familiale, très sélective et un peu endormie sur sa richesse, aux grandes sociétés à la tête de 2 000 logements qui constituent ce que les Suisses appellent « la 3e voie » du logement, aux côtés du locatif privé et du logement subventionné.
Mais pour se développer, les coopératives doivent le faire avec l’appui des collectivités locales. « Dans les zones de développement, la Ville de Genève réserve 35 % du terrain au logement social dit d’utilité publique, 30 % au privé et 35 % aux coopératives comme la nôtre », précise M. Rossiaud.
Les Français seraient-ils, dans leur majorité, trop attachés à la pleine propriété pour que l’idée coopérative se développe ? La Suisse est, comme l’Allemagne, plutôt un pays de locataires : 62 % des Suisses, 78 % des Genevois, 80 % des Zurichois sont locataires.
« Depuis les années 1970 et en particulier la réforme de l’accession à la propriété de Raymond Barre, en 1977, la France a fait le choix du “tous propriétaires” et le climat anxiogène à propos des retraites ne fait qu’exacerber cette tendance, constate Anne d’Orazio, sociologue de l’habitat. Cela explique sans doute pourquoi les organismes fonciers solidaires (OFS), moins éloignés de l’idée que l’on se fait de la propriété, sont plus volontiers portés par les politiques, par les élus, et rencontrent un vrai succès. »
Les organismes fonciers solidaires, plus proches de la propriété traditionnelle, sont l’autre outil introduit par la loi ALUR en 2014. Ce dispositif-là connaît un certain succès. Ainsi, 350 acteurs des OFS, réunis à Rennes les 6 et 7 novembre, tirent un bilan très positif, cinq ans après le lancement du dispositif.
Aujourd’hui, 19 OFS sont déjà agréés et opérationnels, à Lille, Rennes, Paris, Lyon, Toulouse, Annecy, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) ou Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Ils vont livrer 9 200 logements d’ici à 2024. Vingt-cinq autres projets d’organismes sont dans les cartons.
Cette formule opère une dissociation entre le foncier et le bâti. Le terrain reste propriété d’un OFS à but non lucratif, qui l’acquiert à l’aide d’un prêt à très long terme, jusqu’à quatre-vingts ans. Il le loue quelques euros le mètre carré, ce qui allège singulièrement le coût final du logement – entre 17 % et 58 % plus bas qu’un achat classique, d’après les chiffres des 17 programmes déjà lancés.
Les résidents, soumis dans ce dispositif à des conditions de ressources, deviennent propriétaires du bâti, qui doit rester leur résidence principale. Ils pourront le revendre au prix d’achat indexé sur l’inflation. Une manière de leur assurer la possibilité de récupérer leur investissement.
Lille, en lançant deux opérations dès 2017, a été pionnière de ces OFS, sous l’impulsion d’Audrey Linkenheld, qui fut rapporteure de la loi ALUR. Rennes a aussi décidé de produire ainsi une centaine de logements par an. « Les notaires nous ont beaucoup soutenus, mais la difficulté est de trouver des banquiers prêts à financer les acquéreurs », pointe Mme Linkenheld. Ce système, peu connu, refroidit les établissements de crédit. Là encore, les mentalités doivent évoluer.
La Codha tient une liste d’attente de 4 000 candidats coopérateurs qui sont contactés, par ordre chronologique d’inscription, dès qu’un logement est disponible. Elle exporte déjà son modèle en France, avec une première opération à Viry, près de Genève, en Haute-Savoie.
« Nous pouvons aussi répondre à des besoins très précis, par exemple à la demande de dix femmes seules, de 55 à 65 ans, qui nous ont sollicités pour une grande colocation, raconte Eric Rossiaud. Et à chaque nouvelle opération, nous envisageons des espaces communs hypertrophiés. Les halls d’immeubles deviennent des lobbies d’hôtel, avec cafétéria, communiquant avec la buanderie, des espaces de coworking, où un gardien-animateur organise des rencontres. Il est pour cela doté d’un budget, le 1 % apéro… »
Coût final du logement allégé
La coopérative est donc un outil très souple. Chacune fixe ses règles, de la petite structure quasi familiale, très sélective et un peu endormie sur sa richesse, aux grandes sociétés à la tête de 2 000 logements qui constituent ce que les Suisses appellent « la 3e voie » du logement, aux côtés du locatif privé et du logement subventionné.
Mais pour se développer, les coopératives doivent le faire avec l’appui des collectivités locales. « Dans les zones de développement, la Ville de Genève réserve 35 % du terrain au logement social dit d’utilité publique, 30 % au privé et 35 % aux coopératives comme la nôtre », précise M. Rossiaud.
Les Français seraient-ils, dans leur majorité, trop attachés à la pleine propriété pour que l’idée coopérative se développe ? La Suisse est, comme l’Allemagne, plutôt un pays de locataires : 62 % des Suisses, 78 % des Genevois, 80 % des Zurichois sont locataires.
« Depuis les années 1970 et en particulier la réforme de l’accession à la propriété de Raymond Barre, en 1977, la France a fait le choix du “tous propriétaires” et le climat anxiogène à propos des retraites ne fait qu’exacerber cette tendance, constate Anne d’Orazio, sociologue de l’habitat. Cela explique sans doute pourquoi les organismes fonciers solidaires (OFS), moins éloignés de l’idée que l’on se fait de la propriété, sont plus volontiers portés par les politiques, par les élus, et rencontrent un vrai succès. »
Les organismes fonciers solidaires, plus proches de la propriété traditionnelle, sont l’autre outil introduit par la loi ALUR en 2014. Ce dispositif-là connaît un certain succès. Ainsi, 350 acteurs des OFS, réunis à Rennes les 6 et 7 novembre, tirent un bilan très positif, cinq ans après le lancement du dispositif.
Aujourd’hui, 19 OFS sont déjà agréés et opérationnels, à Lille, Rennes, Paris, Lyon, Toulouse, Annecy, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) ou Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Ils vont livrer 9 200 logements d’ici à 2024. Vingt-cinq autres projets d’organismes sont dans les cartons.
Cette formule opère une dissociation entre le foncier et le bâti. Le terrain reste propriété d’un OFS à but non lucratif, qui l’acquiert à l’aide d’un prêt à très long terme, jusqu’à quatre-vingts ans. Il le loue quelques euros le mètre carré, ce qui allège singulièrement le coût final du logement – entre 17 % et 58 % plus bas qu’un achat classique, d’après les chiffres des 17 programmes déjà lancés.
Les résidents, soumis dans ce dispositif à des conditions de ressources, deviennent propriétaires du bâti, qui doit rester leur résidence principale. Ils pourront le revendre au prix d’achat indexé sur l’inflation. Une manière de leur assurer la possibilité de récupérer leur investissement.
Lille, en lançant deux opérations dès 2017, a été pionnière de ces OFS, sous l’impulsion d’Audrey Linkenheld, qui fut rapporteure de la loi ALUR. Rennes a aussi décidé de produire ainsi une centaine de logements par an. « Les notaires nous ont beaucoup soutenus, mais la difficulté est de trouver des banquiers prêts à financer les acquéreurs », pointe Mme Linkenheld. Ce système, peu connu, refroidit les établissements de crédit. Là encore, les mentalités doivent évoluer.
Par Isabelle Rey-Lefebvre