Quinze ans après le « choc » de la première enquête de l’OCDE outre-Rhin, l’inégalité entre enfants de familles favorisées ou modestes inquiète davantage que le niveau général des élèves.
C’est un traumatisme dont l’Allemagne ne se remet toujours pas, comme en témoignent les articles publiés en amont de la nouvelle enquête PISA, parue mardi 3 décembre. De la Süddeutsche Zeitung à Die Welt, du Spiegel à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, la plupart des grands journaux allemands sont de nouveau revenus, ces derniers jours, sur le « choc » provoqué outre-Rhin, il y a dix-huit ans, par la première enquête créée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le 4 décembre 2001, les Allemands découvraient à quel point leurs enfants étaient à la traîne. Les compétences d’élèves de 15 ans dans trente-deux pays révélaient des résultats humiliants pour l’Allemagne : en mathématiques et en sciences, celle-ci se situait au 21e rang ; pour la compréhension de l’écrit, au 22e. « La nouvelle catastrophe de l’éducation. Les élèves allemands sont-ils nuls ? », titrait le Spiegel en « une ». Le tollé fut énorme.
« La réception publique de PISA en Allemagne a eu une dimension considérable. En comparaison des autres pays, les débats dans les médias ont été beaucoup plus importants », observe Dennis Niemann, chercheur à l’université de Brême, dans un article sur « Le “choc PISA” en Allemagne », publié dans la revue Administration & Education, en mars 2015Lire l’analyse : PISA 2018 : les élèves français légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE, dans un système toujours très inégalitaire
Dix-huit ans après, l’Allemagne a rattrapé son retard. Dans ce pays où l’éducation reste la prérogative des Länder, de nombreuses réformes ont été engagées. Même si des différences régionales demeurent, des tendances se dégagent : un allongement de la journée scolaire, jadis limitée au matin et de plus en plus étendue à l’après-midi ; une multiplication des inspections ; une harmonisation des examens à l’échelle nationale, fixant des objectifs globaux plus précis qu’auparavant, et ce même si le sujet reste très sensible politiquement, comme en témoigne la récente décision du Land de Bavière de se tenir à l’écart du tout nouveau Conseil éducatif national, par souci de préserver son baccalauréat et son calendrier scolaire.
Première enquête « salutaire »
Dans une longue analyse, parue en 2011, l’hebdomadaire Die Zeit se félicitait des progrès considérables enregistrés en l’espace d’une décennie, estimant que le « choc » provoqué par la sortie de la première enquête PISA avait été « salutaire ». Un tel article ne pourrait sans doute pas être publié aujourd’hui.
Depuis quelques années, en effet, les compétences des élèves de 15 ans scolarisés outre-Rhin ont non seulement cessé de progresser, mais sont même en recul. L’enquête PISA publiée mardi, qui brosse un état des lieux pour l’année 2018, en est la confirmation : en mathématiques, l’Allemagne est revenue à son niveau de 2012 ; en compréhension écrite, à celui de 2009 ; et en sciences, à celui de 2006.Lire l’entretien : « Le poids de PISA dans les discours sur l’école tient peut-être au fait qu’il va dans le sens des positions de ses lecteurs »
Après l’alarmisme du début des années 2000 et l’optimisme du début des années 2010, l’heure est aujourd’hui à une sorte d’entre-deux dans le regard que portent les Allemands sur leur système éducatif. Les termes du débat ont également évolué. Alors que l’inquiétude, il y a quinze ans, portait principalement sur le niveau général des élèves, c’est le problème des inégalités entre les enfants nés dans des familles favorisées et ceux issus de milieux pauvres qui préoccupe davantage les observateurs.
En la matière, la situation de l’Allemagne s’est certes améliorée depuis la première enquête PISA, qui avait mis en lumière une réalité catastrophique. Mais le pays n’a pas de leçon à donner à ses voisins. Outre-Rhin, à peine 15 % des adultes dont les parents n’ont pas le bac sont ainsi titulaires d’un diplôme universitaire. Ils sont 21 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. De même, seulement 25 % des personnes ayant fait leur scolarité en Allemagne ont un niveau d’études supérieur à celui de leurs parents. Le taux moyen dans les pays de l’OCDE est de 40 %.
Obstacles culturels
Les réponses à ce défi sont connues : plus de moyens alloués aux établissements situés dans les quartiers défavorisés, d’une part ; encore davantage de places en crèche pour les enfants issues de familles pauvres et immigrées, afin de favoriser leur intégration et leur apprentissage de la langue allemande.
La poursuite de tels objectifs continue toutefois de se heurter à des obstacles culturels et administratifs dans un pays en manque de structures collectives de garde d’enfants (surtout en ex-Allemagne de l’Ouest) et où les mécanismes de péréquations financières entre collectivités riches et pauvres restent d’une grande complexité.
Très peu présentes lors de la dernière campagne des législatives, en 2017, les questions d’éducation pourraient toutefois l’être davantage, la prochaine fois, dans un contexte de plus grande incertitude économique potentiellement favorable aux réflexions sur les investissements d’avenir.PISA évalue des compétences « du quotidien » plutôt que des performances scolaires
C’est l’une des spécificités de l’enquête PISA : inviter les jeunes à utiliser leurs compétences dans des mises en situation qui reproduisent au maximum celles de la vie courante, plutôt qu’observer leur maîtrise des programmes.
Les jeunes ne sont d’ailleurs pas évalués à un niveau précis de leur scolarité : tous les élèves de 15 ans, qu’ils soient en retard (pour 17,3 % d’entre eux) ou en avance (3,1 %) sont représentés dans l’échantillon des répondants. Pour l’édition 2018, en compréhension de l’écrit, l’enquête questionne la « littératie », définie comme « la capacité des élèves à utiliser leurs connaissances dans des situations de la vie quotidienne, et à analyser, raisonner et communiquer de manière efficace ».
Dans l’un des exercices, les élèves doivent imaginer qu’ils sont chargés de soigner un animal. Ils naviguent sur un forum qui ressemble à la communauté en ligne Doctissimo et l’on mesure leur capacité à comprendre les réponses, à choisir la plus pertinente, ou à éliminer les contenus promotionnels sans rapport avec le sujet.
Dans un autre exercice, ils sont invités à faire une recherche sur l’île de Pâques pour leur cours (fictif) d’histoire. Ils doivent lire trois textes : un post de blog, une critique littéraire et un article de vulgarisation scientifique. Après plusieurs questions de compréhension, ils sont invités à recouper les informations en naviguant d’un texte à l’autre, exactement comme s’ils effectuaient une recherche sur Internet pour un exposé.
Par la nature même de l’exercice – plusieurs sources, sur plusieurs pages – on évalue tout autant la capacité à « se débrouiller » sur Internet, à comprendre les différents niveaux de source et à faire fonctionner son « esprit critique » en distinguant les faits des opinions.
PISA 2018 veut ainsi « refléter » les changements dans les habitudes des jeunes interrogés, qui lisent de plus en plus sur Internet et de moins en moins de magazines et de journaux, selon l’enquête. Les élèves français déclarent ainsi passer vingt-huit heures par semaine sur Internet en dehors de l’école – soit six heures de plus qu’en 2015, et une heure de plus que la moyenne de l’OCDE.
Par Thomas Wieder