« À l’occasion de la présentation de son étude intitulée « Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie », le Commissariat général, Jean Pisani Ferry, à la stratégie et à la prospective détaille différentes pistes pour répondre à la défiance française par rapport à l’Europe. Le volet européen du rapport intitulé « Retrouver une ambition européenne pour la France » y est tout particulièrement consacré.
L’étude a été menée sous la direction de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et la prospective. « Une période de dix ans est assez longue pour permettre le changement, c’est l’objectif de ce rapport. En ce sens il est optimiste, et vise à la construction d’un avenir meilleur du point de vue des performances économiques » explique le haut fonctionnaire.
L’UE, un entre-deux insatisfaisant qui doit devenir pôle de croissance
Les six dernières années de crise ont fragilisé l’Europe, tant sur le plan social, économique et politique. Pourtant, l’UE dispose d’un potentiel économique réel. Selon les auteurs de l’étude, le marché européen est tellement important qu’aucune multinationale ne peut passer outre les normes fixées par l’UE. Bien que les standards aient été harmonisés pour les produits et les services, ce n’est pas le cas pour les services financiers, l’énergie ou les télécommunications.
« Le résultat est que le potentiel du marché européen reste largement sous-exploité. Trop disparate pour être forte, mais trop grande pour être agile, l’Union demeure souvent dans un entre-deux insatisfaisant » détaille le rapport.
Pourtant les auteurs de l’étude soulignent l’importance du marché intérieur européen. Un espace intégré européen donnerait une plus grande prévisibilité sur les standards et les conditions de la concurrence, et encouragerait les investissements et la croissance d’après le rapport.
Mieux intégrer les secteurs numériques et financiers
Concrètement, le Commissariat à la stratégique appelle à faire des efforts d’intégration dans les domaines du numérique, ou des marchés financiers. « Ceci permettra de tirer parti des services qui demeurent trop souvent segmentés » précise le rapport. Il faudrait aussi des structures de gouvernance plus efficaces selon les auteurs, tel un Conseil dédié à cette question.
Le rapport propose aussi d’avancer sur le sujet fiscal au niveau européen, seulement avec ceux qui y sont disposés. Mais ce projet ne peut pas à l’heure actuelle être envisagé par l’Europe des vingt-huit.
« Une assiette commune de l’impôt sur les sociétés, un rapprochement des taux et des modalités d’imposition des entreprises à dimension européenne seraient à la fois facteur d’efficacité et d’équité » indiquent les auteurs.
Les auteurs de l’étude proposent aussi de progresser dans la lutte contre l’évasion fiscale au niveau européen. Au niveau social, l’étude propose un acte unique pour le travail, afin d’encourager la croissance à l’échelle européenne. Conscient de la mobilité du travail et des travailleurs en Europe, les auteurs défendent la portabilité des droits sociaux. Ils plaident également pour la mise en place d’un salaire minimum européen, pour la reconnaissance mutuelle des compétences et la mise en place d’un accord de coopération sur la lutte contre le travail illégal.
Revoir l’architecture et la gouvernance de la zone euro
Trois voies sont proposées par les auteurs pour renforcer la zone euro. Une voie fédérale d’abord, qui requiert l’affectation de certains pouvoirs à la zone euro. « Ce modèle suppose un budget, des politiques communes, une instance exécutive, et un parlement qui pourrait être une émanation du Parlement européen ». Dans ce système la solidarité s’organiserait autour de transferts temporaires aux pays en difficulté, financés par le budget commun.
La deuxième voie est celle d’une coopération institutionnalisée entre États. Il s’agit de mettre en œuvre des mécanismes de coordination et d’assurance réciproque, qui peut aller jusqu’à une garantie mutuelle partielle des engagements, avec comme contrepartie la surveillance budgétaire.
La troisième voie avancée par les auteurs combine intégration monétaire et large autonomie budgétaire, et cela sans autre forme de solidarité. Dans ce modèle les États reconnaissent la possibilité de faillites souveraines. « Ce modèle repose sur l’hypothèse que le contrôle centralisé des politiques nationales n’est pas tenable dans la durée » indique l’étude.
Pour les auteurs du rapport, le premier modèle, proche de la conception allemande, n’a pas été mis en avant ces dernières années. Le second modèle, plus proche de la tradition française, a quant à lui été écarté par la Cour constitutionnelle allemande. Enfin, le troisième modèle « décentralisé, est un choix par défaut » selon le rapport.
Réformer le MES et la BCE
Le rapport pointe aussi deux réformes à mettre en œuvre pour renforcer la zone euro, il s’agit d’une réforme du MES (Mécanisme européen de stabilité) et de la BCE (Banque centrale européenne). Selon les auteurs, il faut transformer le MES en Fonds monétaire européen.
« Le MES qui fut créé pour aider les pays de la zone euro en difficulté, il est aujourd’hui le bras financier de l’Eurogroupe, mais ne dispose pas de capacité de négociations et de monitoring. Celles-ci sont exercées par la Commission, sans cependant qu’elle en assume la responsabilité politique » explique l’étude. D’après le rapport, le passage du MES au Fonds monétaire européen munirait la zone euro d’un des piliers d’un futur Trésor européen.
Il faut aussi compléter le mandat de la BCE pour y inscrire la stabilité financière. Pour garantir l’intégrité de la zone euro, la BCE a pris des initiatives importantes pendant la crise. Récemment les autorités nationales ont transféré la supervision des banques à la BCE, mais il faut aller plus loin selon les auteurs du rapport.
« La stabilité financière devient dans tous les pays financièrement développés une responsabilité majeure de la banque centrale, qui nécessite une gouvernance spécifique et des procédures particulières de reddition des comptes. Élargir le mandat de la BCE dans le respect de la primauté de la stabilité des prix, permettrait d’assoir la légitimité de son nouveau rôle » détaille l’étude du Commissariat à la stratégie. »