
Sa victoire était annoncée depuis des semaines, dimanche soir, elle a eu un air de triomphe. Nicola Zingaretti remporte les primaires du Parti démocrate italien avec plus de 65 % des voix. Un virage à gauche pour le PD qui entame sa reconstruction.
Palerme (Italie), correspondance.- Les bureaux de vote ont fermé depuis un peu plus de deux heures, dimanche soir, quand Nicola Zingaretti prend la parole depuis son QG romain : « Merci à l’Italie qui ne cède pas et qui veut freiner un gouvernement dangereux ! » Derrière lui, son slogan de campagne s’étire en rouge sur grand écran, comme un rappel de l’énorme tâche qui lui incombe désormais en tant que nouveau secrétaire du Parti démocrate italien (PD) : « Il est temps de reconstruire, on tourne la page. »
Devant une foule de journalistes et de sympathisants, le président de la région du Latium enfonce le clou : « unité » et « changement » sont les maîtres mots. « Je ne me considère pas comme un chef mais comme le leader d’une communauté en marche pour changer l’histoire de la démocratie italienne », poursuit-il. Rien de moins. Le défi est d’autant plus titanesque que depuis sa défaite aux élections de mars 2018, le Parti démocrate peine à endosser un costume devenu trop grand pour lui : celui de premier opposant au gouvernement d’union entre la Ligue et le Mouvement Cinq Étoiles.
« On ne va pas se le cacher, c’est un début : la droite est soudée, forte, enracinée et elle ne cédera pas le pouvoir facilement », reconnaît Nicola Zingaretti, qui s’est bien gardé de crier victoire trop vite en dépit d’un score aux allures de plébiscite, avec près de 65 % des voix. Depuis des semaines, il était en tête des sondages, loin devant ses deux adversaires. Maurizio Martina, secrétaire sortant qui assurait l’intérim de Matteo Renzi depuis mars 2018, recueille 24 % des suffrages. Dernier des primaires, Roberto Giachetti, l’un des fidèles de Matteo Renzi, totalise, lui, 12 % des suffrages.
Moins d’une heure après la fin du vote, les premiers messages de félicitations donnent l’impression de rangs unis. Comme si les mois de luttes intestines qui ont déchiré le parti avant les primaires n’avaient pas eu lieu. « Le PD est entre de bonnes mains, nous travaillerons côte à côte », promet le secrétaire sortant Maurizio Martina. « Belle et nette victoire », tweete l’ancien secrétaire et président du conseil, Matteo Renzi. « Maintenant, c’est fini de se tirer dessus, les adversaires politiques ne sont pas chez nous mais au gouvernement. »
Surtout, tous ont salué l’affluence inattendue : 1,8 million électeurs sont allés voter dimanche selon les chiffres du PD. Soit plus ou moins la même participation qu’en mars 2017 où ils étaient 1,838 million. Mais beaucoup moins que les trois millions et demi d’électeurs qui avaient élu Walter Veltroni lors des toutes premières primaires du PD en 2007. Toutefois, le Parti démocrate de 2019 n’est plus celui de ses débuts et les dirigeants avaient fixé un objectif d’un million de votants. Pas très ambitieux mais prudent pour le troisième parti politique italien.
Pourtant, au fil de la journée, les ambitions de ces primaires ont été revues à la hausse. Dès 8 heures, près de 7 000 tentes blanches estampillées du logo rouge et vert du parti étaient installées sur les places principales des grandes villes italiennes, permettant aux électeurs de voter jusqu’à 20 heures dimanche. Sur la place Castelnuovo, au cœur de Palerme, de longues files de sympathisants se sont formées dès la matinée jusqu’à la fin de l’après-midi. Les journaux télévisés ont fait état de scènes similaires à Rome, Milan, Turin, Ravenne ou encore Venise.
La veille, déjà, l’Italie avait montré un autre visage que celui qu’on lui affuble ces derniers temps au fil des polémiques de son gouvernement. Près de 200 000 personnes ont défilé à Milan pour protester contre le racisme et la politique menée par le ministre de l’intérieur, Matteo Salvini, scandant le slogan « People, prima le persone » (« Peuple, les humains d’abord »). L’expression n’est pas sans rappeler l’intitulé de la motion de Nicola Zingaretti : « Prima le persone ». Le candidat aux primaires se trouvait d’ailleurs en tête de cortège, aux côtés de son adversaire Maurizio Martina.
Pourtant, la présence des candidats démocrates n’allait pas forcément de soi. Soutenue par plus de 700 communes du nord au sud du pays, un millier d’associations et de mouvements citoyens, l’initiative regroupait de nombreux déçus du PD. « Nous irons récupérer toutes ces personnes-là, en étant cohérents », a lancé Nicola Zingaretti. Pendant le week-end, la photo de la piazza del Duomo, à Milan, noire de monde a fait le tour des réseaux sociaux, souvent accompagnée de mentions « Enfin ! », « Ça fait plaisir ! », « Ça fait du bien de voir ça ! ». « C’est ça notre vision de l’Italie », a quant à lui commenté le maire de la ville, Giuseppe Sala, membre du PD pour qui le pays se trouve « à un grand tournant ».
Après des mois de bataille pour la succession à la tête du PD, le tournant de ce week-end est au moins symbolique. « Je suis un papa heureux, ils disaient que le PD était mort », a ironisé dans la foulée Walter Veltroni, l’un des fondateurs du Parti démocrate. Il faudrait peut-être plutôt dire « pas tout à fait mort ». Car les sympathisants ont adressé un message clair aux dirigeants du parti : fini le PD de l’ère Renzi.
Pendant toute sa campagne, Nicola Zingaretti s’est présenté comme l’homme de la rupture et du renouveau. Selon lui, tourner la page de l’époque de Matteo Renzi, c’est la condition sine qua non pour « être une alternative crédible aux populistes ». À 53 ans, le nouveau secrétaire du parti a un profil a priori plutôt classique : ancien député européen de 2004 à 2008, il devient ensuite président de la province de Rome puis de la région Latium en mars 2013. Sur l’échiquier politique démocrate en revanche, il affiche des positions plus à gauche que ses adversaires des primaires.
Petit frère de Luca Zingaretti, un acteur populaire qui incarne le commissaire Montalbano dans une série de la télé italienne, Nicola Zingaretti a 17 ans quand il s’engage en politique en participant à un mouvement pour la paix et en cofondant une association de lutte contre le racisme « Nero ma non solo » (« Noir mais pas seul »). Trois ans plus tard, de 1985 à 1989, il devient le secrétaire de la section romaine de la FGCI, la fédération communiste italienne des jeunes. Il se rapproche ensuite de Sinistra giovanile puis des Démocrates de gauche avec qui il sera élu en 2004 au parlement européen.
Depuis son mandat d’eurodéputé, il ne cesse de critiquer les politiques d’austérité imposées par l’Union européenne à plusieurs de ses membres, dont l’Italie : « Nous voulons être ceux qui mettront fin de manière définitive à cette froide saison de l’austérité pour relancer notre développement et faire face aux grandes questions sociales qui nous touchent. » Au niveau national et sur l’épineuse question de la réforme du marché du travail, il milite pour un code du travail simplifié pour en finir avec cette « flexibilité malade qui se traduit par plus de précarité », n’hésitant pas à remettre en question le Job Acts, l’un des gros chantiers du gouvernement de Matteo Renzi.
Le virage à gauche du Parti démocrate pourrait relancer de nouvelles alliances politiques en vue des prochaines échéances électorales. Lors des élections régionales de février dans les Abruzzes et en Sardaigne, par exemple, le PD s’est allié avec des listes civiques locales. Cette stratégie lui a permis de limiter l’ampleur du revers électoral infligé par la coalition de droite.
En revanche, pas question de s’allier avec la Ligue ou le Mouvement Cinq Étoiles. Lors de sa campagne, Nicola Zingaretti a clairement posé les limites : ce sont « deux réalités très différentes mais les deux sont dangereuses et à force de généraliser, on a offert l’hégémonie à Salvini parce qu’une part notable de nos électeurs déçus ont ensuite voté pour le Mouvement Cinq Étoiles ». Le Parti démocrate a désormais trois mois pour entamer sa mue et convaincre les électeurs d’ici fin mai et les élections européennes, premier test que devra affronter Nicola Zingaretti pour prouver que le tournant amorcé n’est pas que symbolique.
PAR CÉCILE DEBARGE