Pour la gauche, les régionales sonnent comme un cruel rappel: l’unité de façade ne fait pas une majorité. On voit mal comment une nouvelle alliance peut se constituer à dix-sept mois de la présidentielle.
Il en va de la gauche comme du foie gras. Quand il se présente sous l’étiquette de « bloc » (au lieu d' »entier »), il s’étale facilement, ne coûte pas cher, mais présente une mixture d’oie, d’eau, de graisses sans consistance. C’est un conglomérat plus artificiel que jamais qui vient de se former contre la droite et le Front national. Cette alliance permet de sauver quatre des cinq régions conservées par la gauche, à la faveur de triangulaires: les tenants de la politique sociale libérale et sécuritaire du gouvernement et ses détracteurs se retrouvent à faire chambre commune dans un revival de gauche plurielle
Le Parti socialiste, dans cette histoire, n’est plus que grumeaux. Arrivé en troisième position au premier tour des régionales (avec 23,12% des suffrages), il ne peut pas prétendre, dans l’état actuel, se qualifier pour le second tour de la présidentielle. Il recule dans les profondeurs du pays, totalement absent en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en Paca.
On ne mesure pas encore l’onde de choc de ces retraits. Le Nord et les Bouches-du-Rhône, pour prendre deux bastions historiques, n’ont plus d’élus dans les conseils régionaux. Les « Bouches-du-Nord », comme on les a surnommées, ont constitué pendant quatre décennies l’épine dorsale du Parti socialiste.
La gauche de la gauche n’échappera pas à l’examen des consciences
Un danger guette: le déni, le « c’est-mieux-que-prévu ». Ou comment banaliser un scrutin qui a vu le FN arriver en tête dans plus de la moitié (52%) des villes et villages du pays le 6 décembre. La palme revient au premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, qui s’est félicité, au soir du second tour, d’un « succès sans joie » et de « la bonne résistance » de la gauche. Un ministre, de son côté, préfère concentrer sa colère sur les médias: « Les communes qui ont enregistré le plus de voix de l’extrême droite sont starisées dans les journaux, déplore-t-il. Les Unes des magazines sur le FN me rendent malade. Quoi qu’il en soit, et malgré les résultats, nous ne changerons pas notre programme économique, qui a besoin de temps pour porter ses fruits. Mettre en place d’autres mesures ferait prendre au pays le risque d’attendre encore longtemps avant que des résultats soient palpables. » Le statu quo est-il tenable? Non, si la gauche ne veut pas être une simple force passive, obstacle sans projet face au FN. Le député PS de Dijon, Laurent Grandguillaume, résume: « Les régionales sont un 21 avril bis. Quand la gauche fait moins de 35% à des élections au premier tour, il y a urgence à se poser des questions. » >> Lire aussi: Régionales 2015, à droite comme à gauche, un avant et un aprèsLa gauche de la gauche, des écolos au Parti communiste, en passant par les mélenchonistes, n’échappera pas à l’examen de conscience. Selon les cas, les Verts se sont présentés au premier tour seuls ou avec le Front de gauche, même quand la menace FNétait sérieuse. Chaque fois, ce sont quelques centaines de militants locaux qui ont fait ce choix crucial. Résultat de cette stratégie illisible, le score d’EELV a fondu de moitié: 6,8% des voix, pour 12% en 2010. Pendant ce temps, la formation écologiste se disloque, après le départ de nombreux parlementaires. Situation cocasse, en Ile-de-France, le sénateur Jean-Vincent Placé, au côté de Claude Bartolone dès le premier tour, retrouve ses ex-camarades au second, après la fusion des listes… Comprenne qui pourra. « On va devoir s’interroger sur la meilleure façon de renouer la confiance avec tous ceux qui font partie de l’univers de l’écologie », lâche Julien Bayou, l’un des porte-parole d’EELV. Chez Jean-Luc Mélenchon, on cherche aussi une boussole. Quatre combinaisons d’alliances ont été testées aux régionales. Les candidats ont été inaudibles dans le débat public.
« La troisième claque d’affilée »
Au niveau national, ils ont réalisé un piètre 4,15% des voix. Le député européen, qui a refusé de donner une consigne de vote aux électeurs en Paca, dans le duel opposant Marion Maréchal-Le Pen à Christian Estrosi (les Républicains), s’est confié au Monde, le 9 décembre: « Je ne m’attendais pas à nous voir, cinq ans après, quasiment revenus à la case départ. » Dans ce champ de ruines, la seule satisfaction du PS est d’apparaître comme un pilier incontesté. « La gauche de la gauche n’est pas une alternative, constate un député socialiste. Après les européennes, les départementales, voilà, avec les régionales, la troisième claque d’affilée pour ces mouvements. » Les frondeurs ne l’entendent pas de cette oreille… « On ne peut pas nous dire pendant des semaines ‘Silence dans les rangs’, sous prétexte qu’il y a la menace djihadiste ou fasciste, soupire le député européen Emmanuel Maurel, l’une des figures de l’aile gauche du PS. Ce serait indigne de nous. Il n’y a rien qui fasse plus monter le FN que l’indifférenciation de la gauche et de la droite. » Il va être déçu: les sujets au programme du début de 2016 vont accentuer ce brouillage, avec la constitutionnalisation de l’état d’urgence, la loi Macron II, la réforme du Code du travail… Seule issue de secours: instaurer une primaire à gauche. Elle est prévue dans les statuts du PS, mais sa tenue semble peu probable: ses partisans vont avoir du mal à lancer une telle offensive politique, alors que les problématiques sécuritaires écrasent le débat… >> Voir aussi: Régionales, en cinq ans, la gauche a perdu son hégémonie localeDe leur côté, les réformistes du PS lorgnent sur une recomposition des forces sociales libérales, mordant sur le centre droit. C’est la ligne défendue par le Premier ministre, Manuel Valls, et par le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. La percée du FN et les difficultés de la droite à tirer profit des mauvais résultats de la gauche viennent conforter leur diagnostic: il est urgent de recomposer le paysage autour d’un pôle républicain.
Décomposition à tous les niveaux
« La Ve République déteste le tripartisme, rappelle l’avocat proche du président français Jean-Pierre Mignard. La gauche doit regarder du côté de la mondialisation. Et la droite ne pas jeter l’Etat providence par-dessus bord. Alors on pourra construire un bloc républicain, démocratique, européen, écologique. » Des groupes de réflexion travaillent à ce rapprochement. C’est le cas du Club, ce très discret think tank piloté par l’ancien ministre de François Mitterrand Hubert Védrine autour de parlementaires, Benoist Apparu (LR), Christophe Caresche (PS), Pascal Terrasse (PS), et de personnalités de la haute administration. Citons également les travaux des Gracques, autour de hauts fonctionnaires. Mais quelle personnalité de poids est mûre, à droite, pour tenter l’aventure? Jean-Louis Borloo, que François Hollande chouchoute? D’autres, recrutés parmi les déçus de la primaire à droite? A l’Elysée, on laisse chacun à ses manoeuvres. Le désordre a du bon. La décomposition à tous les niveaux est une tragédie pour les partis politiques. Pas forcément, d’un point de vue tactique, pour un candidat en quête d’un dialogue direct avec le peuple. « La percée du FN, les divisions à droite, l’effritement de la gauche radicale: tout se déroule à merveille pour François Hollande, qui peut se présenter comme le meilleur rempart contre l’extrême droite », commente un député PS. Déjà, en 1988, François Mitterrand avait su surfer sur la « France unie », au-delà des clivages, pour un second sacre. C’était l’époque de SOS-Racisme. Un ministre, un peu las de tous ces calculs, rappelle la suite: « L’esprit de la France unie, c’est bien beau. Mais rappelons-nous qu’après, rapidement, la gauche s’était cassé la figure. »