Face au refus de Varsovie de se soumettre aux décisions de Bruxelles, l’exécutif communautaire lui réclame 69 millions d’euros de pénalités. Et menace aussi de bloquer les fonds du plan de relance européen.
Lentement, mais sûrement, la Commission européenne avance ses pions, dans le conflit qui l’oppose à la Pologne sur les questions d’Etat de droit, depuis que le parti conservateur nationaliste polonais Droit et justice (PiS) est arrivé au pouvoir, en 2015. Jusqu’ici, elle semblait impuissante. La procédure « article 7 », qui peut aller jusqu’à la suspension du droit de vote au Conseil d’un Etat membre, a bien été engagée contre Varsovie, mais elle ne peut aboutir puisqu’elle nécessite une décision prise à l’unanimité, le pays concerné étant exclu du vote. Et la Pologne refuse par ailleurs de se soumettre à certaines décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (UE). Bruxelles a donc décidé d’attaquer le pays à la bourse.
Jeudi 20 janvier, l’exécutif communautaire a annoncé avoir réclamé au gouvernement de Mateusz Morawiecki le paiement de 69 millions d’euros de pénalités pour ne pas avoir mis fin aux activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, comme le lui avait pourtant demandé la Cour de justice de l’UE le 14 juillet 2021. Non seulement Varsovie ne s’est pas exécuté mais le Tribunal constitutionnel polonais, saisi par M. Morawiecki lui-même, a, le 7 octobre 2021, jugé certains articles des traités de l’UE incompatibles avec la Constitution et mis en cause la primauté du droit européen.
Dans ce contexte, fin octobre 2021, la Cour de Luxembourg a condamné la Pologne à payer une astreinte d’un million d’euros par jour, à compter du 3 novembre 2021, prenant acte du fait qu’elle n’avait pas tenu compte de ses injonctions.
Quarante-cinq jours pour commencer à payer
A Varsovie, le chef de la majorité, Jaroslaw Kaczynski, avait certes annoncé la suppression de la chambre disciplinaire de la Cour Suprême, en juillet 2021, arguant qu’elle n’avait « pas fait ses preuves ». Mais cela devait se faire dans le cadre d’une réforme de la justice plus large, qui, de l’avis d’une écrasante majorité de juristes, ne pourrait qu’aggraver les tensions autour de l’Etat de droit entre Bruxelles et Varsovie. A ce stade, elle n’a pas vu le jour.
La Commission a donc envoyé une première injonction de paiement mercredi 19 janvier, « demandant à la Pologne de payer les pénalités pour la période allant du 3 novembre 2021 au 10 janvier 2022 inclus ». Varsovie a désormais quarante-cinq jours pour commencer à payer, sans quoi elle recevra une nouvelle demande de paiement, avec intérêts de retard. Et si rien ne change, la somme due pourra être déduite des fonds européens qui sont censés lui être réservés.
Pour les mêmes raisons, la Pologne pourrait, sous peu, se voir priver de 15 millions d’euros : Varsovie refuse en effet de payer une astreinte de 500 000 euros par jour infligée par la Cour de justice de l’UE en septembre 2021 pour ne pas avoir respecté l’ordre que les juges de Luxembourg lui avaient donné, en mai 2021, de fermer une mine de lignite, très polluante, à la frontière de la République tchèque. Dans ce dossier, plus avancé que celui de la chambre disciplinaire, la Commission regarde actuellement quels transferts vers la Pologne pourraient être amputés.
Une décision de la CJUE attendue
La Commission fait le pari que la pression financière ramènera la Pologne, qui a grand besoin de l’argent communautaire, à un comportement plus collaboratif. Dans cette logique, elle se refuse à débloquer les fonds du plan de relance européen auxquels Varsovie peut prétendre (23,9 milliards d’euros de subventions et 12,1 milliards d’euros de prêts), tant que la chambre disciplinaire est opérationnelle et que les jugements de la Cour de Luxembourg ne sont pas mis en œuvre.
Par ailleurs, la Commission s’apprête à utiliser le mécanisme de conditionnalité du versement des fonds communautaires au respect de l’Etat de droit, conçu en même temps que le plan de relance européen et entré en vigueur le 1er janvier 2021. Afin d’éviter que Varsovie et Budapest bloquent l’ensemble du paquet, il avait alors été convenu que s’ils devaient contester la légalité du mécanisme devant la Cour de justice de l’UE, la Commission attendrait l’issue de la procédure avant d’y avoir recours.
En mars 2021, les gouvernements de Mateusz Morawiecki et de Viktor Orban ont donc, comme prévu, saisi les juges de Luxembourg. Le 2 décembre 2021, l’avocat général a recommandé qu’ils rejettent les recours en annulation de Varsovie et de Budapest. Ces conclusions ne sont certes pas contraignantes, mais, la plupart du temps, elles sont suivies par la Cour, qui devrait trancher sous peu.
En Pologne, la majorité de M. Kaczynski reste otage des dix-neuf députés du microparti du ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, dont la rhétorique est de plus en plus europhobe. Si Mateusz Morawiecki plaide pour un apaisement des tensions avec Bruxelles, sa position au sein du parti au pouvoir est de plus en plus affaiblie. Dans un entretien au quotidien Rzeczpospolita le 10 janvier, M. Ziobro dénonçait le « chantage économique brutal » de l’UE. Et prévenait ses partenaires européens : « Tant que l’UE n’aura pas réalisé ses engagements vis-à-vis de la Pologne, Varsovie devrait bloquer toutes les décisions législatives européennes exigeant l’unanimité. »
Virginie Malingre(Bruxelles, bureau européen) et Jakub Iwaniuk(Varsovie, correspondance)