Les attentes communes des Européens sont loin des clivages exacerbés par les politiques. C’est ce que souligne l’initiative WeEuropeans, qui a mobilisé 2 millions de personnes et suscité 30 000 propositions.
La campagne a commencé le 15 décembre par un appel publié dans plusieurs États membres. Une question simple et ouverte lancée à tous les Européens : comment réinventer l’Europe ?
30 000 propositions et 2 millions de votes plus tard, WeEuropeans présente les dix idées qui ont récolté le plus d’adhésion de la part des Européens. Au programme, beaucoup de questions de justice sociale et climatique.
Trouver le consensus
« Ces dernières années, on assiste à un débat public drogué aux clivages », explique l’un des instigateurs de l’initiative, Axel Dauchez, fondateur de make.org. « Pour des raisons d’efficacité, le débat politique se concentre sur ce qui divise les gens. Il y a bien sûr plein de choses sur lesquelles les gens ne sont pas d’accord et la démocratie est là pour les traiter. En revanche, cela nous fait perdre notre base commune. »
Leur pari a donc été de retrouver la base commune, les actions que les citoyens attendent de l’UE et sur lesquelles ils sont d’accord. « C’était un pari énorme », admet Axel Dauchez, mais « cette base commune existe, et c’est le début d’une réappropriation démocratique » de l’Union.
C’est le cas des questions d’environnement et de climat, par exemple. Un sujet qui inquiète nombre de citoyens et sur lequel ils estiment que c’est au niveau européen que les choses peuvent bouger. Et de fait : quatre des dix propositions présentées touchent directement à ce sujet.
« Je suis heureux de voir que plusieurs propositions parlent du climat », s’est d’ailleurs réjoui Jo Leinen, élu allemand du S&D. Il souligne que les législations en place sont bonnes, mais que leur concrétisation nécessitera l’engagement de tous les secteurs et de tous les citoyens.
« On voit ici que le sujet de l’immigration, qui fait tellement les gros titres et dont se servent les hommes politiques, n’est pas ce qui préoccupe le plus nos citoyens. Le sujet de fond, la constante, c’est l’environnement », a-t-il ajouté. Or, si la protection du climat et de l’environnement sont les enjeux majeurs des années à venir, cette analyse n’est pas tout à fait juste, comme le souligne Axel Dauchez : « l’immigration est un sujet qui est ressorti très nettement, mais qui n’est pas entré dans la base commune, puisque justement là-dessus les gens sont très divisés ».
« Un véritable agenda »
Les citoyens à l’origine des dix idées les plus appréciées étaient à Bruxelles pour présenter leurs propositions à un petit groupe d’eurodéputés. Ils étaient chacun accompagnés d’un expert de la société civile, afin d’appuyer la proposition et de donner des pistes de réflexion.
Mary, Alessandro, Anna, Jules, Gheorghe-Adrian, Adriani, Reinhold, Birute, Salvador et Nadedja sont venus des Pays-Bas, d’Italie, d’Irlande, de Belgique, de Grèce, de Suède, de Lettonie, d’Espagne et de Bulgarie pour encourager les élus européens à se pencher sur les questions qu’ils ont soulevées.
Ils ont demandé, entre autres, la fin des niches fiscales pour les multinationales, la protection des forêts, l’éloignement des criminels des postes à responsabilité dans le secteur public ou encore une véritable économie circulaire.
Les eurodéputés ont tous félicité l’initiative et ses participants, promettant plus ou moins fermement de tenir compte de cette consultation citoyenne dans l’élaboration de leurs campagnes. « Quelque chose est né aujourd’hui de tout ce travail, un véritable agenda européen », a notamment salué Mercedes Bresso, vice-présidente du groupe S&D.
Danuta Hübner, du PPE, s’est quant à elle réjouie du désir partagé d’avancer sans s’arrêter aux divisions et différences d’opinions. « Je ne me souviens pas d’un débat sur l’avenir de l’Europe qui n’a pas commencé par la question du ‘plus ou moins d’Europe’. Et dans ce cas, on part sur des divisions. Je suis très heureuse que ça n’ait pas eu lieu aujourd’hui. »
« Tout le monde est d’accord ? » s’est toutefois étonné le vert Philippe Lamberts. « Mais alors pourquoi les citoyens perdent-ils leur protection sociale, pourquoi l’injustice fiscale croît-elle, pourquoi la Terre est-elle en danger ? » Le président du groupe Verts/ALE a encouragé ses homologues à dévier de la poursuite aveugle du profit, au bénéfice d’une amélioration de la vie de tous.
Une UE qui reste méconnue
La consultation a par ailleurs mis en lumière la méconnaissance de l’action de l’UE. Ainsi, une des propositions les plus populaires préconise la mise en place d’une carte européenne d’assurance maladie. L’harmonisation des systèmes laisse encore à désirer, mais cette carte existe déjà, comme l’ont souligné plusieurs eurodéputés présents.
« Il faut disposer d’informations claires et transparentes sur l’ensemble des projets et accords au sein de l’UE », a aussi suggéré Salvador, secondé par des milliers d’Européens. Si la transparence reste un enjeu clé dans une organisation aussi tentaculaire que l’Union européenne, il est aussi vrai que ce sujet a davantage trait au traitement médiatique des sujets européens qu’aux institutions elles-mêmes.
Les journaux et chaînes télévisées des États membres n’utilisent presque pas la masse de données déjà disponible sous forme de sites internet, document en ligne, diffusion vidéo de réunions, etc. Et on voit difficilement comment l’UE pourrait les y obliger
Un premier pas
Le futur de ces propositions est toutefois incertain. « Nous savons tous que même les plus longs voyages commencent par un premier pas. Aujourd’hui nous avons fait ce premier pas », reconnait Danuta Hübner
Et les politiques restent accrochés à leurs marottes habituelles qui ne parlent pas forcément aux citoyens. Ainsi, dans sa réaction, Guy Verhofstadt a insisté sur l’importance de l’instauration d’un « vrai » budget européen. « Avec 1 %, on ne fait rien », juge-t-il, ajoutant que pour aller de l’avant il faudrait aussi « établir un vrai gouvernement européen, avec une quinzaine de commissaires, et un Parlement disposant du droit d’initiative. »
« Des propositions correspondant à toutes ces idées existent déjà », assure-t-il, « mais elles sont bloquées. Pas au parlement, mais au Conseil. Il faut donc mettre un terme à la prise de décision à l’unanimité au Conseil. »
Deux arguments sur lesquels le rejoignent nombre de ses collègues, même si Philippe Lamberts dit en avoir assez que les élus se cachent derrière le Conseil, comme les gouvernements nationaux se cachent derrière l’UE. « On ne peut pas se poser en ‘bon Parlement’ qui lutterait contre un ‘méchant Conseil’ », estime-t-il.
Changer le rôle des citoyens
Pour les initiateurs du projet, la réflexion va évidemment plus loin. « On est un peu frustré. Le mécanisme a tellement bien fonctionné qu’on aimerait à présent former un groupe de travail et construire un projet. »
« On devrait utiliser cet outil de manière régulière et structurelle au niveau de l’Union européenne, pour créer un véritable esprit européen, au-delà de l’agglomération de 27 concurrences nationales » assure Guillaume Klossa, de l’association Civico.
Les deux Français tiennent à faire la différence entre démocratie participative et démocratie directe. « Ce que l’on a fait, ce n’est pas les mettre en situation de décider, c’est les mettre en situation de savoir de quoi on doit parler. Le rôle des citoyens doit changer : il n’y aura plus une politique publique qui ne pourra être pensée sans d’abord avoir été décryptée par la société », estime Axel Dauchez, qui estime que cette nouvelle forme de contrôle démocratique représente la seule chance de survie de la démocratie représentative .
par : Manon Flausch