Le 31 janvier dernier la Fondation Abbé Pierre présentait son 25e rapport sur « L’État du mal-logement en France ». Ce rapport renouvelait le constat que 4 millions de personnes en France restent mal logées ou privées de domicile, tandis que 12 millions sont en situation de précarité en termes de logement. La réforme des APL n’aura certainement pas contribué à améliorer la situation. Avant même la crise de la COVID- 19, environ un cinquième de la population française était concerné par le problème du logement dans notre pays.
Le plan « France relance », présenté en septembre par le gouvernement, aurait pu prioriser la question du logement. Cependant, sur 100 milliards d’euros en deux ans, seuls 100 millions d’euros (0,1%) sont destinés à aider le secteur de l’hébergement (dont seulement 10 sur deux ans pour « humaniser » les centres d’hébergement). En matière de logement, le plan de relance mise tout sur la rénovation énergétique dans le parc social (500 millions d’euros sur deux ans) et privé (2 milliards d’euros).
Cependant, avec l’ouverture de «MaPrimeRénov» aux ménages aisés et l’absence de contrainte de rénovation pour les logements énergétiquement précaires, la rénovation énergétique risque d’être socialement et budgétairement déséquilibrée.
Le panorama européen sur le logement n’est guère plus réjouissant. Selon le dernier rapport annuel sur le logement produit avant crise par l’association Housing Europe1, un Européen sur dix dépense plus de 40% de son revenu sur les dépenses liées au logement mais cette part augmente à 37,8% si l’on considère les ménages menacés de pauvreté. Parallèlement, lorsque les coûts de logement sont pris en compte, 156 millions de personnes sont menacées de pauvreté, contre 85 millions avant prise en compte des coûts de logement.
Dans le même temps, le déficit d’investissement dans le logement abordable est estimé à 57 milliards d’euros par an2 et les investissements publics dans le secteur qui pourraient stimuler l’offre ne cessent de diminuer. Les pouvoirs publics se concentrent souvent sur les incitations aux promoteurs privés tandis que les aides au logement pour les ménages à faible revenu sont de plus en plus accordées sous la forme de paiements de type protection sociale. Entre 2009 et 2015, les dépenses relatives aux allocations de logement dans l’UE sont passées de 54,5 milliards à 80,8 milliards d’euros. La Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) avertit pour sa part que les logements inadéquats coûtent à nos économies 195 milliards par an.
Les inégalités face au logement ont été terriblement accentuées par l’actuelle urgence sanitaire. Lors du confinement, trop de personnes ont été enfermées dans des espaces de mauvaise qualité, surpeuplés ou insalubres. Nombreux ont été ceux à ne pas avoir les moyens de payer leur facture énergétique pour chauffer leur domicile, nombreux ont été ceux à ne pas avoir accès à la nature ou à des parcs dignes de ce nom. La situation a empiré avec la pandémie de COVID-19 et des villes et régions de gauche ont rapidement renforcé leurs mesures de solidarité. Alors que la Région de Bruxelles a introduit par exemple des bonus pour les locataires les plus fragiles, Vienne a suspendu les expulsions des logements communaux, Rotterdam a investi dans des services pour les sans-abris et Nantes a mis en place un fond de solidarité pour le logement. Tous ces exemples sont des mesures temporaires qui ont apporté une aide nécessaire à un moment précis dans le temps.
Ce qu’il nous faut à présent, c’est un investissement approprié et de longue durée dans ce secteur. Investir dans le logement signifie investir dans la création d’emplois. Le secteur de la construction, qui représente 9% du PIB européen, pourrait créer 4 millions de nouveaux emplois pour des investissements correspondant à 300 milliards d’euros.
La question du logement abordable a donc une dimension européenne ne serait-ce qu’en termes macroéconomiques.
Le logement n’est peut-être pas une compétence explicite, et donc un sujet de l’action de l’Union Européenne, mais il en est bien un objet. En effet, le logement est régulé par exemple par la législation européenne sur l’efficacité énergétique dans les bâtiments, par les règles en matière d’aides d’Etat et par les effets collatéraux de la réglementation européenne des plateformes électroniques sur le logement – ou plutôt le déficit de réglementation illustré par l’arrêt de Cour de Justice Européenne du 19 décembre 2019 accordant à AirBnB un statut de service électronique sur base de la directive sur le commerce électronique de 2000 antérieure à AirBnB mais aussi à l’iPhone. Il est vrai aussi que le logement au sens large est éligible à des soutiens à travers les fonds structurels (dont 5 milliards affectés au niveau européen à la rénovation thermique des logements au titre du FEDER 2014-2020) ou à travers les instruments financiers du plan Juncker (4% du plan d’investissements stratégiques du programme InvestEU sont alloués au logement social) et que des efforts de coordination et d’échanges de meilleures pratiques ont été effectués ces dernières années au titre de l’Agenda urbain. En 2017, le socle européen des droits sociaux confirmait au niveau européen le principe du « droit à l’accès à un logement social et à une aide au logement de qualité » (paragraphe 19).
L’ambition du « Green Deal », initié par le Vice-Président de la Commission européenne Frans Timmermans, et le fait que le logement soit devenu dans la plupart des pays européens un des principaux enjeux sociaux mais aussi économiques et climatiques imposent à l’Union Européenne de changer de braquet et de faire du logement une vraie priorité. Pour cette raison, nous appelons toutes les institutions européennes et tous les gouvernements nationaux à inclure “un plan d’action pour le logement” dans leurs stratégies de relance. Nous avons besoin d’une stratégie holistique reposant sur le principe de partenariat pour s’assurer que chaque commune, ville et région ’fasse partie de’ et ’soit un acteur/rice de’ ce processus.
La présentation le 15 octobre dernier par Frans Timmermans de la stratégie ‘Vague de rénovations’ destinée à améliorer la performance énergétique des bâtiments. Les constructions sont responsables de 40% de la consommation énergétique européenne et de 36% des émissions de gaz à effet de serre. Il est donc évident que la résolution de la crise du logement doit aller de pair avec la résolution de la crise climatique. Mais le taux de rénovation actuel d’environ 1% dans l’UE est la preuve que nous n’allons pas être capables d’atteindre l’objectif de neutralité climatique si nous continuons à ce rythme. Pour cette raison, nous avons besoin d’une véritable révolution architecturale et de l’urbanisme pour régénérer nos villes et nos régions (en commençant par nos hôpitaux, nos écoles et nos bâtiments destinés aux services publics) et pour soutenir les foyers ayant des revenus plus modestes ou des groupes marginalisés. Il n’est pas sûr que l’invocation par la Présidente de la Commission européenne du Bauhaus pour réactiver la co-création entre architectes, étudiants, ingénieurs et designers soit suffisante sans les moyens adéquats.
Par contre, le logement, ce n’est pas seulement une question de bâti et d’efficacité énergétique du parc immobilier existant…Il faut penser le facteur humain et concevoir le logement comme composante du « contrat social » et comme une des bases de la quadrature des services publics qui conditionnent le bien-être et l’adhésion des citoyens à un territoire, à côté de la santé, de l’éducation et de la mobilité.
Une telle priorité d’action transversale se traduirait notamment par un plan d’action européen sur le logement abordable et durable qui devrait s’appuyer sur une politique de cohésion européenne forte et englober une révision des règles en matière d’aides d’État applicables au logement social dans le sens d’un élargissement de l’accès au logement social. Les autorités locales et régionales devraient être habilitées par l’UE à fournir de manière proactive des logements sociaux à ceux dont les besoins de logement ne peuvent être satisfaits par le marché. L’exhortation commune de villes l’Union européenne afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et la stratégie ‘Vague de rénovations’ destinée à améliorer la performance énergétique des bâtiments dans précarité énergétique renforce certainement le momentum pour un plan d’action européen. La stratégie de rénovation en est un excellent point de départ. En effet, gouvernées par la gauche comme Paris, Vienne, Bruxelles, Berlin, Munich ou Barcelone et du Comité Européen des régions à la Commission Européenne de proposer « une nouvelle directive sur le commerce électronique visant à garantir une évolution plus équilibrée des locations de meublés touristiques » ne doit pas non plus rester lettre morte3.
En matière de logement, l’Union européenne doit, conformément au principe de subsidiarité, être dans un rôle d’incitation et de facilitatrice du développement des investissements et des droits pour le logement et non dans un rôle dirigiste et centralisateur. En matière de logement, rien ne doit pouvoir se faire contre les collectivités territoriales, tout doit pouvoir se faire avec elles. Le rôle de l’Europe est de les accompagner et de les soutenir dans leurs efforts.
Avec le nouveau Cadre financier pluriannuel, en particulier le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fond social européen + (FSE+), le plan de relance Next Generation EU, InvestEU et le Fond pour une transition juste, l’Union européenne donne les bases sur lesquelles construire un nouveau train d’investissements publics pour faire face à la crise du logement. Mais il faut aussi garantir que le logement gagne en autonomie financière dans le cadre d’une réforme de la gouvernance économique européenne qui conduirait à un Semestre Européen plus inclusif et plus social et à une comptabilité adaptée des investissements publics durables dans un Pacte de Stabilité et de Croissance profondément révisé d’ici 2022.
Le plan de relance et le pacte vert pour l’Europe ne peuvent pas assurer une justice économique et sociale sans aborder la crise du logement. Les villes et les régions de gauche doivent montrer l’exemple pour y arriver. Les autorités locales et régionales (avec les citoyens, les entreprises et la société civile) seront appelées à mettre en adéquation des objectifs plus larges décidés au niveau européen et national avec la réalité de terrain. Le logement est un droit fondamental. S’assurer que tout le monde ait un “chez soi” digne sera la preuve que nous pouvons réussir à construire une Union européenne qui ne laisse personne sur le bord de la route et qui allie l’écologie et le social.