La privatisation progressive des soins de santé dans l’UE, assortie de politiques d’austérité, a contribué à une augmentation du nombre de décès dus au COVID-19, selon un rapport du centre de recherche Corporate Europe Observatory. Un article d’Euroefe.
L’affaiblissement des systèmes de santé publique a entraîné une « dégradation significative » des hôpitaux et des établissements pour personnes âgées dans les États membres, ce qui a coûté « davantage de vies » depuis le début de la pandémie, selon une étude publiée mercredi 27 janvier par le centre de recherche sur le lobbying Corporate Europe Observatory (CEO).
« Les réformes néolibérales qui ont affaibli les systèmes de santé publique ont été, en partie, le résultat de pressions politiques de l’UE », indique le rapport, qui avertit que le secteur privé espère, par le biais du lobbying, obtenir une part des fonds européens pour la relance.
Ces réformes ont engendré des « conséquences désastreuses » pour les systèmes de santé et d’assistance pendant la crise du coronavirus, un secteur qui a également subi des coupes lors de la précédente récession.
Le manque de ressources budgétaires s’est accompagné d’une réduction du personnel et du nombre de lits dans les hôpitaux, alors même que « le renforcement de leur privatisation va de pair avec la réduction des soins intensifs, moins rentables pour les entreprises ».
Touché de plein fouet par la pandémie et n’ayant pratiquement aucune compétence en matière de santé, le bloc de l’UE a commencé à esquisser l’Union européenne de la santé qui « prendra forme sur une base très malsaine » si elle ne tire pas « les leçons de ses erreurs », comme le souligne dans un communiqué Olivier Hoedman, chercheur au sein de CEO.
« Il est essentiel de mettre un terme aux politiques néolibérales qui ont conduit à des coupes budgétaires néfastes », estime l’analyste.
Le cas de l’Espagne : « épuisement et stress »
Le rapport présente spécifiquement l’Espagne comme un exemple de la manière dont la privatisation et des décennies de politiques d’austérité ont laissé les services de soins primaires « débordés, en sous-effectif et sous-financés à l’arrivée du covid-19 ».
Corporate Europe Observatory cite une étude d’Amnesty International qui décrit comment les coupes ont entraîné une baisse des dépenses de santé de 11,2 % entre 2009 et 2018, alors même que le PIB de l’Espagne a augmenté de 8,6 %.
Avec l’arrivée de la pandémie, cela a conduit les médecins et les infirmières à « une charge de travail impossible, à l’épuisement et au stress ».
L’organisation à l’origine de l’étude juge « inquiétant » que la vice-présidente du gouvernement espagnol, Nadia Calviño, chargée de l’Économie, défende « fermement » une « politique de limitation des dépenses publiques » en réponse à la crise pour éviter le déficit.
Des maisons de retraite « très rentables »
Selon l’étude, les analystes commerciaux décrivent le marché espagnol des maisons de retraite comme un « secteur résilient, mûr pour l’investissement et très rentable » en raison de la précarité et du faible coût du travail de soins.
Ces conditions se sont révélées « meurtrières pendant la pandémie » : c’est dans ce cadre que le groupe français DomusVi, leader du marché espagnol avec 135 résidences, est cité. Ces centres avaient été le théâtre de quelque 2 100 décès à la fin de l’année 2020, selon les estimations de CEO.
En Espagne, trois centres dédiés aux soins sur quatre sont privatisés et c’est précisément dans les résidences de soins aux personnes invalides que l’on enregistre le plus de décès par le COVID-19, souligne l’étude.
L’influence du secteur privé
Le rapport met l’accent sur l’influence du lobbying que le secteur privé exerce à Bruxelles. Celui-ci fait pression sur l’UE pour qu’elle réduise les dépenses publiques et a contribué à la commercialisation de l’assistance médicale « avec des effets catastrophiques, notamment dans les résidences de soins », dénonce le document.
L’étude documente notamment la manière dont le lobby de l’Union européenne de l’hospitalisation privée (UEHP) promeut activement un « marché intérieur dans le secteur de la santé ».
CEO insiste pour sa part sur la nécessité de « préserver le caractère public et non lucratif des soins de santé en Europe » et de veiller à ce que les fonds alloués à la relance post-pandémique « ne soient pas détournés vers des prestataires à but lucratif ».
Les défenseurs de la santé publique exigent que le club des 27 « élimine » le pouvoir des lobbies en faveur de la commercialisation et de la privatisation des services publics et que les règles d’austérité en vigueur avant la crise du COVID ne soient pas reconduites.
Selon Olivier Hoedman, les syndicats et les militants exigent de l’UE qu’elle « rejette les groupes de pression du secteur privé qui sont en train de lui chuchoter à l’oreille » car sinon « il y aura davantage de vies en jeu ».
Par : Clara Gámez | Euroefe | translated by Sandra Moro