La branche néerlandaise de l’ONG Greenpeace révèle ce lundi des documents confidentiels autour des négociations sur le traité commercial entre l’UE et les Etats-Unis, dit Tafta ou TTIP. Abordant des sujets très vastes, ils sont révélateurs de l’avancée des discussions entre les deux parties et jettent un doute supplémentaire sur un possible accord avant la fin du mandat du président américain Barack Obama.
Les eurodéputés n’ont pas accès à des documents aussi complets
« Fin du secret » annonce L’Obs en tête d’article. En effet, depuis trois ans, date du début des négociations bipartites sur le traité de libre-échange transatlantique, aucun document officiel n’avait fuité sur le contenu des discussions entre Américains et Européens, laissant la place à la spéculation. La position des Etats-Unis n’avait en réalité jamais été divulguée jusqu’à maintenant.
C’est la raison pour laquelle la diffusion des 248 pages de documents confidentiels sur les négociations devrait avoir des répercussions sur un débat déjà « explosif« , juge Le Figaro. Des éléments, publiés ce lundi à onze heures, qui « confirment les menaces sur la santé, l’environnement et le climat » fait savoir Greenpeace.
Pour Le Monde, qui a pu consulter leur contenu en avance, « ces documents permettent d’éclairer un texte qui suscite la méfiance tant par son contenu que par l’opacité des discussions à huis clos qui président à son élaboration ». « Représentant les deux tiers de l’ensemble des textes discutés, la fuite couvre 13 chapitres » détaille le quotidien. « Il s’agit, pour l’essentiel, de ce qui a servi de base au dernier cycle de négociation du TTIP (le nom officiel du futur traité), le treizième, entre l’administration Obama et la Commission européenne, qui s’est tenu du 25 au 29 avril, à New York » .
Des révélations qui pourraient intéresser un grand nombre de personnes, à commencer par les eurodéputés, qui bataillent depuis plusieurs mois pour être mieux informés de la teneur des négociations.
Improbabilité d’un accord avant la fin de l’année
On apprend tout d’abord que les discussions avancent très lentement, et que ce sont les Européens qui sont les plus actifs avec un grand nombre de propositions mises sur la table : accès aux grands marchés publics américains, reconnaissance des AOP – appellations d’origine protégée (comme le parmesan ou le chablis)- ou encore harmonisation des standards industriels.
En face, Le Monde décrit des Américains « campés sur leurs positions » et « peu enthousiastes« . Pas question, après douze cycles de négociations, d’ouvrir des discussions sur la coopération règlementaire dans les services financiers ou sur la portée réelle de l’ouverture du marché américain pour les Européens, que les Etats fédérés pourraient contourner. Autre sujet de litige, la levée des restrictions américaines sur l’exportation du gaz naturel.
L’administration Obama possède par ailleurs un avantage stratégique qu’elle tente d’exercer sur les Européens, à savoir le traité de libre-échange trans-pacifique (TPP), conclu en février entre les Etats-Unis et onze partenaires d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Océanie. « Pour forcer la main des Européens, elle exige aujourd’hui sur plusieurs dossiers que le Tafta ne soit pas moins ambitieux que le TTP ».
Même si l’UE répète depuis plusieurs mois qu’un accord avant la fin 2016 – soit avant le départ de Barack Obama de la Maison Blanche – est toujours possible, un compromis politique se révèle « de plus en plus incertain« . En particulier lorsqu’on réalise que les discussions sur l’un des volets les plus controversés du Tafta en sont à leur balbutiements. « La reprise en février des négociations (longtemps gelées) sur les tribunaux d’arbitrage chargés de trancher les litiges entre les entreprises et les Etats n’a donné lieu qu’à une présentation formelle aux Américains de la nouvelle doctrine européenne, dotée d’un meilleur encadrement pour prévenir les dérives portant atteintes à l’intérêt général » relate Le Monde.
« Impossible donc de savoir si les Américains consentiront à [un]compromis » visant à instaurer pour cela une cour dotée de juges permanents et un mécanisme d’appel. Sans cela, « le Tafta pourrait bien ne jamais voir le jour, faute de soutien politique ».
Inquiétude autour des normes
Un point qui concentre l’inquiétude de l’ONG Greenpeace est la reconnaissance mutuelle des normes entre l’UE et les Etats-Unis. Les deux parties possédant des normes réglementaires complètement opposées, cela semble un compromis inévitable, une harmonisation paraissant peu crédible. Jorgo Riss, chef du bureau de Greenpeace à Bruxelles, confirme ses doutes au Monde:
« Les promoteurs du Tafta nous disent que son principal intérêt est davantage d’ordre géopolitique qu’économique. Mais ces documents montrent que cet argument ne tient pas. L’UE et les Etats-Unis vont vers une reconnaissance mutuelle de leurs standards, ouvrant la voie à une course vers le bas des multinationales en matière d’environnement et de santé publique ».M. Riss résume ainsi l’approche adoptée par un éventuel accord : « Si c’est assez bon pour eux, c’est assez bon pour nous« .
Le Tafta pourrait mettre fin au principe de précaution permettant aujourd’hui à l’UE de refuser certains produits et pratiques au nom de la santé ou de l’environnement. Ce serait désormais aux autorités de justifier chaque décision en fournissant des preuves de dangerosité. La commissaire européenne chargée du Commerce, Cecilia Malmström avait pourtant assuré récemment que le principe de précaution faisait partie des négociations en cours. Il ne figure semble-t-il pas dans les textes fuités.
En conclusion, le quotidien précise toutefois que les documents révélés ont servi de base à des négociations qui se sont déroulées fin mars. Depuis, des avancées ont pu avoir lieu sur certains points. C’est le cas par exemple des procédures douanières. La Commission européenne a assuré lors des négociations que « le résultat de la coopération réglementaire ne doit pas conduire à un abaissement des standards de protection ».
La presse et l’opinion publique européennes : entre rejet et scepticisme
Alors qu’un responsable de Greenpeace en Allemagne cité parEuronews justifie ces révélations comme une réponse à l’opacité « scandaleuse » qui entoure les négociations, on peine à trouver dans la presse européenne une voix pour défendre le futur accord.
Les documents révélés ne devraient en effet pas calmer les ardeurs des militants anti-Tafta. El Pais rappelle que la plateforme lancée en 2015 pour faire pression contre les négociations a déjà récolté 3,4 millions de signatures, avec pour objectif d’en récolter 4 millions.
Pour The Guardian, les différences révélées sont « irréconciliables » et les discussions « font face à un échec« , tandis que la presse allemande s’émeut particulièrement des informations selon lesquelles Washington « menace de bloquer les facilités d’exportations pour l’industrie automobile européenne, afin d’obtenir en contrepartie que l’UE importe plus de produits agricoles des États-Unis » [Deutsche Welle]. En Italie, La Stamparappelle qu’une manifestation nationale est prévue à Rome le 7 mai, en écho aux rassemblements qui ont réunis autour de 250 000 personnes en Allemagne il y a quelques jours.