« Les élections européennes, qui se dérouleront dimanche, auront un impact sur de nombreux sujets de la vie quotidienne. Comme par exemple l’accès à des logements sociaux. Laurent Ghekiere, travaille pour l’Union sociale pour l’habitat, qui représente 755 organismes HLM en France. Détaché à Bruxelles, il fait du lobbying pour promouvoir la conception française du logement social, et plus largement des services publics. Il vient de publier un manifeste «Quel logement social dans l’UE pour 2020» qu’il remettra la semaine prochaine aux députés fraîchement élus. L’enjeu est de taille, explique-t-il à Libération.
Comment la France se situe-t-elle par rapport à la proportion de logements sociaux en Europe ?
Nous sommes dans la moyenne : en queue du peloton de tête, derrière les pays nordiques, mais devant l’Europe du sud et l’est. C’est le fruit de l’histoire. Le résultat de choix politiques qui ne sont pas forcément représentatifs de la situation actuelle d’ailleurs.
Certains pays ont un parc social important, hérité du passé, mais se retrouvent avec un manque criant de logements sociaux aujourd’hui. Comme la banlieue de Londres par exemple. C’est aussi le cas en France. Le logement social s’est surtout développé dans les années 1950 lors de la forte période d’industrialisation. Mais les besoins de l’époque ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Vous avez des régions avec des HLM vacants en pagaille, et d’autres comme l’Ile-de-France, ou Rhône-Alpes, où il en manque énormément…
Plutôt que le nombre total de logements, il faut regarder la capacité d’un pays à construire des logements là où sont les besoins. Surtout dans une période de crise économique comme aujourd’hui.
Aujourd’hui, dans ce contexte de crise, quels pays s’en sortent le mieux et continuent à construire des logements ?
La France ! Nous avons toujours un objectif annuel de 100 000 créations de logements sociaux. Bien sûr, c’est compliqué à tenir. Les terrains constructibles sont chers et rares dans des zones tendues comme l’Ile-de-France. Il faut plusieurs années entre la prise de décision et le jour où l’immeuble sort de terre. Mais on y arrive, même en période de crise, grâce à notre modèle de financement.
D’ailleurs, jusqu’à récemment, notre modèle était considéré comme ringard par nos voisins. Finalement, il a bien mieux résisté à la crise que les autres. Et maintenant, on est montré en exemple dans toute l’Europe.
Chez nous, le logement social n’est pas dépendant du bon vouloir des banques. Il est financé par la Caisse des dépôts via le livret A, l’épargne des Français donc. La production de logements peut se poursuivre même en pleine crise économique, alors que d’autres pays européens, comme l’Angleterre, ont dû stopper net la construction de nouveaux logements. En Grèce, par exemple, le logement social a été supprimé du jour au lendemain.
En quoi ces élections européennes auront un impact sur les politiques nationales du logement social?
Beaucoup de choses vont se jouer dans les prochains mois, à commencer par la conception même de logement social. La Cour de justice de l’Union européenne doit se prononcer sur une affaire très importante, qui fera jurisprudence. L’histoire remonte à 2009 : la Commission européenne, en tant qu’autorité de concurrence, demande aux Pays-Bas d’attribuer les logements sociaux aux seules personnes défavorisées, considérant que les services publics doivent par définition être réservés aux populations démunies…
C’est une conception très restrictive et libérale qui ne correspond pas du tout à notre vision française. Si la Cour de justice donne raison à la Commission, cela voudrait dire que demain, tous les services publics, par exemple Pôle Emploi ou les crèches municipales, ne devraient être ouverts qu’aux plus démunis. Les Pays-Bas, avec notre soutien, ont porté l’affaire devant la Cour de justice. La décision sera rendue à l’automne prochain.
Mais comment le scrutin de dimanche peut avoir une influence ?
Quelle que soit la décision du juge, elle sera suivie d’un arbitrage politique. Nous considérons que le Parlement doit se positionner sur ces questions, et dire que c’est à lui, et non à la Commission, de légiférer en la matière. Le Traité de Rome est explicite : les Etats membres disposent d’un large pouvoir discrétionnaire en matière de logement social. Ce n’est pas à la Commission d’imposer sa vision, mais à chaque Etat de décider en fonction de ses choix politiques et de son histoire.