La pandémie a provoqué un nombre de morts inégalé depuis près de quatre-vingts ans, la natalité ne repart pas et les jeunes Italiens émigrent ; cette situation fragilise l’équilibre social et financier du pays. Pour en savoir plus, vernez au colloque EuropAgora jeudi 29 septembre à 18h30_ Cosmopolis
Sept cent mille morts. C’est un chiffre rond, qui frappe les esprits plus encore que les bilans de la protection civile italienne, qui, depuis février 2020 égrènent chaque jour à la même heure le terrible bilan de l’épidémie de Covid-19 en Italie. Selon l’Institut italien de la statistique (Istat), le nombre de décès enregistrés dans la Péninsule durant l’année 2020 dépassera cette barre, pour la première fois depuis 1944. Autrement dit, jamais, en temps de paix, l’Italie contemporaine n’aura connu une telle hécatombe.
Cette donnée, qui demande à être confirmée par des chiffres définitifs (ceux-ci n’ont pas encore été centralisés), dit de façon très éloquente l’ampleur de la surmortalité causée par le coronavirus ; durant la période 2015-2019, le nombre moyen des décès enregistrés en Italie s’établissait à 645 000. Pour cette raison, il a été abondamment commenté, début janvier, par l’ensemble des médias italiens.
Sans doute un autre chiffre rond de l’année aurait-il, au moins, mérité la même attention. Il s’agit cette fois d’une barre qui risque de ne pas avoir été franchie en 2020, celle des 400 000 naissances
Bien sûr, l’actuelle pandémie n’est pour rien dans cette décrue débutée il y a plusieurs décennies, et que rien ne semble pourtant enrayer. Mais les conséquences sociales de la crise risquent de l’aggraver encore.
Le phénomène s’est installé dans le temps
Pourtant alors que l’actuelle majorité se déchire au Parlement, l’ancien premier ministre Matteo Renzi (ex-Parti démocrate, désormais à la tête du petit parti centriste Italia Viva) n’ayant pas de mots assez durs pour fustiger la gestion court-termiste des 209 milliards d’euros du « Recovery Fund » par l’actuel gouvernement, nul n’a jugé bon de reprendre à son compte la désillusion exprimée par le président du Forum des associations familiales, Giovanni de Palo : « Ce plan s’appelle “next generation”, donc nous nous attendions à quelque chose de plus pour les générations futures… »
Bien sûr, le déclin démographique et le vieillissement de la population sont deux phénomènes qui touchent l’ensemble du continent européen. Mais le phénomène est particulièrement marqué en Italie : à titre de comparaison, le pays, peuplé d’un peu moins de 60 millions d’habitants en 2020 n’enregistrera que 400 000 naissances quand la France, à peine plus peuplée (67 millions d’habitants), devrait en compter plus de 700 000.
Plus grave encore, le phénomène s’est installé dans le temps depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants n’est même plus suffisant pour rétablir l’équilibre, si bien que l’objectif du renouvellement des générations à moyen terme ne semble plus qu’une chimère.
L’indice de vieillesse (rapport entre les plus de 65 ans et les moins de 15 ans) était de 33 % au début des années 1950 : autrement dit, il y avait alors une personne âgée pour trois enfants. Aujourd’hui le rapport s’est inversé, et cet indice est de 180 % au niveau national. Dans certaines régions comme la Ligurie, on dépasse même 300 %.
Diagnostic explosif
Parvenir à ce constat est d’autant plus douloureux que les solutions à mettre en œuvre sont complexes, et touchent à l’organisation de l’ensemble de la société.
L’obstacle le plus évident à une reprise de la natalité est l’âge des parents. Avec un âge moyen de plus de 31 ans pour le premier enfant (28 ans et demi en France), les mères italiennes sont les moins jeunes d’Europe. Ce phénomène est directement lié à l’âge auquel les femmes quittent le domicile de leurs parents (29 ans pour les Italiennes, contre 23 ans pour les Françaises et une moyenne européenne de 25 ans), et cet état de fait est lui-même à mettre en rapport avec l’extrême difficulté de l’entrée sur le marché du travail, l’importance du chômage des jeunes et les insuffisances de la protection légale des femmes enceintes – une Italienne sur quatre déclare avoir perdu un emploi à cause d’une grossesse, et ce nombre est constant depuis plusieurs années.
Ces raisons, qui constituent autant de freins à la natalité, sont en revanche de puissantes incitations à l’émigration. D’après les statistiques officielles, plus de 200 000 Italiens quittent le pays chaque année, et l’immense majorité d’entre eux sont des actifs.
Par Jérôme Gautheret (Rome, correspondant)