Dans la foulée des hausses de salaires obtenues dans l’industrie, les syndicats des services et du secteur public réclament 6 % à 11 % d’augmentation. Serait-ce le début d’une vague d’augmentation des salaires en Allemagne ? Encouragés par le succès d’IG Metall, qui a obtenu, mercredi, 4,3 % d’augmentation pour 3,9 millions de salariés de l’industrie, les autres syndicats allemands sont sur le pied de guerre.
Jeudi 8 février, le syndicat des services (Verdi) et ceux des fonctionnaires (DBB), de la police (GdP) et des personnels d’éducation (GEW) ont demandé entre 6 % et 11 % d’augmentation pour les 2,5 millions de salariés de l’administration fédérale et territoriale. Les négociations doivent débuter le 26 février.
« Les économistes commencent à être à court de superlatifs pour décrire l’état de notre économie. Les salariés des services publics voudraient bien aussi prendre part à la fête », a lancé Frank Bsirske, président du syndicat Verdi, en référence à la bonne santé de l’industrie et à la faiblesse du chômage (5,7 %), au plus bas depuis la réunification. Verdi, qui représente les salariés des services, compte sur le succès de cette négociation pour imposer des augmentations de salaires dans d’autres secteurs comme la poste ou les télécommunications, qui doivent également négocier en 2018 le renouvellement des conventions collectives. Tous demandent 6 % d’augmentation.
Excédent budgétaire record
De combien sera la hausse globale ? Difficile de l’anticiper tant les négociations au sein de l’opulente industrie se sont révélées délicates. Le président du syndicat des fonctionnaires, Ulrich Silberbach, a beaucoup insisté sur la retenue des serviteurs de l’Etat ces dernières années.
En raison du « frein à la dette », inscrit depuis 2009 dans la Constitution allemande, l’Etat et les collectivités territoriales ont dû réduire leurs coûts, et parfois augmenter le volume de travail du personnel en place. Le syndicat chiffre à 200 000 le nombre de travailleurs manquants actuellement dans le secteur public, en particulier dans l’éducation et la police.
« Après toutes les années de renoncement et la charge de travail liée à la faiblesse des effectifs, les collègues ont plus que mérité une nette augmentation. » Cette fois-ci, l’Etat aura du mal à leur opposer l’argument des restrictions budgétaires. L’Allemagne a dégagé l’an dernier un excédent budgétaire record, à 1,2 % du PIB, soit 38,4 milliards d’euros, a précisé l’institut de statistique Destatis, le 11 janvier dernier.
Pour la quatrième année consécutive, l’Etat, les collectivités locales et les caisses d’assurance publiques ont dépensé moins qu’elles n’ont collecté de recettes fiscales. Les collectivités locales ont réalisé un excédent historique de presque 10 milliards d’euros. Le manque de personnel qualifié est considéré comme une des causes du retard d’investissement dans les communes, qui peinent souvent à dépenser l’argent disponible faute d’experts.
« L’Allemagne n’est pas une île »
Les syndicats ne sont pas les seuls à espérer une nette hausse des rémunérations outre-Rhin. « L’Allemagne n’est pas une île »,a rappelé Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), lors d’une récente visite outre-Rhin. Comme le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, elle déplore depuis plusieurs années la retenue salariale qui prévaut toujours en Allemagne.
Jeudi 8 février, Destatis lui a, une nouvelle fois, donné raison : malgré une conjoncture au beau fixe et une croissance continue depuis 2013, les salaires réels n’ont augmenté que modérément en 2017, de 0,8 %. Dans le détail, les salaires nominaux ont augmenté de 2,5 %, tandis que l’inflation a progressé de 1,7 %. Or, les niveaux de rémunération des salariés ont un impact sur l’évolution des prix. Parce que les salaires augmentent peu outre-Rhin, les produits made in Germany, déjà compétitifs hors prix, sont encore avantagés à l’exportation, tandis que la consommation et les importations restent limitées.
Conséquence : l’excédent commercial allemand demeure à un niveau très élevé. Il a été de 245 milliards d’euros l’an dernier, a annoncé, jeudi, Destatis, seulement en légère baisse par rapport à son niveau record de 2016. Selon l’institut économique Ifo, l’excédent courant allemand est le plus élevé du monde. A 257 milliards d’euros, il a dépassé l’an dernier celui de la Chine. Au grand dam du FMI, de la BCE, de la Commission européenne ou encore de l’administration américaine, qui accusent depuis des années l’Allemagne d’alimenter avec ses excédents les déséquilibres macroéconomiques internationaux.
Manque de personnel qualifié
« La hausse [des salaires] de 0,8 % l’an dernier est étonnamment faible », concède Stefan Müller, de l’institut économique de Halle. « On ne peut l’expliquer que par la faiblesse des négociations salariales menées jusqu’ici, qui ont été influencées par l’arrivée constante de nouveaux entrants sur le marché du travail comme les femmes et les étrangers », explique l’économiste.
Mais cette situation devrait évoluer : en raison du manque de plus en plus criant de personnel qualifié dans certains secteurs, les salariés ont une position de négociation historiquement avantageuse, même là où le degré d’organisation syndicale est faible. C’est le cas dans les services, où les entreprises sont souvent de petite taille. Dans ce secteur, les salaires accusent traditionnellement un écart important par rapport à ceux pratiqués dans l’industrie.
« La faiblesse historique du chômage est le principal levier de hausse des salaires », confirme Holger Lesch, de l’Institut économique de Cologne, proche du patronat. Même dans les entreprises non rattachées aux conventions collectives, les employeurs sont obligés de prendre en compte les salaires pratiqués par la concurrence s’ils veulent rester attractifs, explique-t-il. « La situation n’a jamais été aussi favorable à une forte hausse des salaires en Allemagne », résume Stefan Müller.