Pour Arup Banerji, directeur régional pour les pays de l’Union européenne à la Banque mondiale, les Etats doivent renforcer les systèmes de formation.L’économie européenne va mieux, mais les nouvelles technologies menacent sa cohésion, explique Arup Banerji, directeur régional pour l’Union européenne (UE) à la Banque mondiale. Dans son nouveau rapport sur le Vieux Continent, il appelle les gouvernements à renforcer les systèmes de formation.
Votre rapport de 2012 décrivait l’Europe comme une formidable machine à convergence. Est-ce encore le cas ?
Depuis sa création, l’Union européenne [UE] a propulsé les nouveaux pays membres les plus pauvres vers les standards des nations à hauts revenus et à faible niveau d’inégalités. Cette machine à fabriquer de la convergence, puissante et unique dans l’histoire moderne, fonctionne encore, mais elle n’est plus automatique pour tout le monde. Certaines régions et citoyens en profitent moins que d’autres, en grande partie à cause de la révolution technologique que nous vivons.
Comment le progrès technique creuse-t-il ces écarts ?
Il révolutionne le travail. D’un côté, il menace certains emplois peu qualifiés, facilement automatisables. De l’autre, il crée des emplois à haute valeur ajoutée. Comment l’intelligence artificielle et les robots vont-ils transformer nos métiers ? Ces bouleversements sont imprévisibles. Du coup, seules les personnes et entreprises capables de s’adapter rapidement en mettant leurs compétences à jour, par exemple, sont et seront capables de tirer leur épingle du jeu. Le grand défi des prochaines années est de permettre aux Européens de profiter des opportunités offertes par cette révolution technologique.
Faut-il généraliser la flexisécurité à la danoise ?
Oui. Ces dernières années, beaucoup de pays ont flexibilisé leur marché du travail. C’est important pour favoriser la mobilité, mais pas suffisant. Le volet « sécurité » doit être renforcé. Il est indispensable pour permettre aux individus changeant d’emploi de disposer d’un filet de protection, et à ceux ayant besoin de se former de pouvoir le faire. La flexibilité seule est inefficace.
Où se situent les lignes de fracture, dans l’UE ?
Entre les Etats membres du Nord d’une part, et ceux du Sud d’autre part : la hausse de la productivité est moindre chez ces derniers. Au sein même des pays, notamment en Europe de l’Est et du Sud, les écarts se creusent également entre régions. Certaines ont un potentiel économique plus faible : le nombre de travailleurs peu qualifiés y est plus important, les institutions fonctionnent moins bien, leur population vieillit plus vite.
Pourquoi la croissance de la productivité est-elle cruciale ?
La révolution technologique permet de produire plus avec la même quantité de ressources : ces gains de productivité sont le moteur de la croissance. Mais beaucoup d’entreprises du sud de la zone euro sont trop petites pour s’adapter à ces progrès techniques (en Espagne, Grèce, Italie, les micro-entreprises représentent 40 % des emplois), ou bien sont entravées par des régulations trop coûteuses. Cependant, dans le nord de l’Italie, des PME sont aussi productives que celles d’Allemagne, et parviennent à croître : il n’y a rien d’inéluctable.
Quel rôle joue l’école dans cette « machine à convergence » ?
Dans certains pays d’Europe centrale et orientale, tels que la Hongrie, la ségrégation sociale joue à plein dès les premières années de scolarité et fabrique de l’inégalité : les enfants issus des familles les plus pauvres sont cantonnés à des établissements de niveau inférieur, dont ils sortent avec moins d’opportunités. C’est également un sujet pour la France.
Les systèmes sociaux européens sont-ils adaptés à ces mutations ?
Pas suffisamment. L’Etat-providence à l’européenne a été conçu dans un monde où les salariés faisaient carrière dans une ou deux entreprises, y cotisaient pour leurs droits sociaux, puis prenaient leur retraite. Ce modèle est inadapté aux nouvelles formes d’emploi qui émergent aujourd’hui, pas forcément salariées. A l’avenir, il conviendrait que les droits à la retraite puissent être facilement transposables d’un type d’emploi à un autre, d’un pays à un autre, et que les individus puissent les abonder plus librement s’ils le souhaitent.
Les élections italiennes montrent que ces divergences nourrissent le populisme…
Beaucoup d’Européens ont peur d’être laissés de côté par la révolution technologique. Cette angoisse nourrit leur désespoir. L’UE peut encore être une grande machine à convergence pour tous, à condition que les gouvernements agissent pour mettre en œuvre les changements nécessaires.