Le secrétaire d’État à la recherche et à l’enseignement supérieur estime que le livre « Un président ne devrait pas dire ça… » est le « symptôme » de la crise des institutions de la Ve République. Thierry Mandon propose une réforme, allant du rôle du président de la République à la fabrique de la loi, en passant par la haute administration. Sans être certain d’être entendu.
Soutien d’Arnaud Montebourg lors de la primaire de 2011, et partisan de longue date d’une VIe République, le député socialiste Thierry Mandon est désormais secrétaire d’État à la recherche et à l’enseignement supérieur du gouvernement. Dans un entretien à Mediapart, il analyse la déflagration provoquée par le livre des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme « Un président ne devrait pas dire ça… »(Stock, 2016), qui remet en question la candidature à un second mandat de François Hollande.Selon Mandon, il s’agit d’abord et avant tout d’un « symptôme », celui d’une crise institutionnelle provoquée notamment par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier. Réforme du rôle présidentiel, de celui du premier ministre, de l’Assemblée et de la haute administration : le secrétaire d’État, qui a remis avant l’été ses propositions au chef de l’État, veut « tout changer ». Pour l’instant, il n’a pas été entendu.Le livre des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme « Un président ne devrait pas dire ça… » est-il pour vous une faute personnelle, celle du président de la République, et/ou une illustration de la faillite d’un système, la VeRépublique ? Thierry Mandon. Ce livre est l’aboutissement d’un dérèglement institutionnel. Il relève davantage de causes systémiques que de raisons personnelles. Depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier, les présidents ont déserté malgré eux la fonction présidentielle à laquelle les Français sont inconsciemment très attachés. Ils sont devenus des super chefs de gouvernement, qui passent leur temps à courir après l’actualité. Cette course effrénée les conduit sans cesse à commenter, à justifier, à réagir. Ils perdent toute capacité de projection, de recul, de distance, de fourniture de sens.Ce livre est un symptôme. Il dit que la figure présidentielle à laquelle les Français sont attachés n’existe plus. Et qu’à la place, on a un nouveau président, tiré vers la quotidienneté et l’immédiateté, et qui ce faisant ajoute au trouble que produit l’abandon de la figure présidentielle idéale. Les Français ont besoin d’une assurance vie. À leurs yeux, le président incarne cette garantie ultime de la place de la France dans le monde, une vision de l’État, une stabilité, quels que soient les tumultes du monde, une identité et une projection dans l’avenir. C’est anthropologique, comme le montre le livre de Pierre Legendre, Fantômes de l’État en France.Ces causes systémiques rencontrent-elles une personne, en l’occurrence François Hollande, ou plus généralement une génération politique très gestionnaire ? Elles rencontrent une façon de faire de la politique.En quoi ? [Silence] Si l’on réfléchit aux présidents depuis le début de la Ve République, parallèlement à l’instauration du quinquennat est apparue une génération de leaders politiques qui n’est pas fascinée par l’Histoire ni par les flux très longs. On n’a jamais autant parlé de roman national depuis qu’il n’y a plus de romancier.François Mitterrand passait son temps à lire des livres – il le scénarisait, certes, mais authentiquement. Il était passionné par l’histoire multiséculaire de la France. Je ne suis pas certain que ce soit le cas des présidents qui lui ont succédé. Ce n’est pas le côté gestionnaire qui est en jeu. C’est plutôt un rapport à la politique qui est un rapport problème-solution. C’est une vision de la politique comme un opérateur politique.Est-ce lié à leur formation ?Oui, mais aussi à la façon dont ils structurent leur entourage et à la capacité de ces responsables à aller trop vite aux solutions avant de se poser les questions. La décision politique aujourd’hui est atrophiée, parce qu’elle n’est pas irriguée par les savoirs qui se sont développés dans la société, avec l’élévation du niveau de la connaissance et le numérique.Nous vivons dans une société beaucoup plus mûre et beaucoup plus outillée, mais avec une décision politique en vase clos, avec les mêmes “experts”, détenteurs du pouvoir, qui ont fait les mêmes études, qui viennent des mêmes milieux sociaux, qui, très souvent, font les mêmes dîners en ville, et qui ne consultent personne.Mais pensez-vous que ce soit le quinquennat en soi qui produise cet affaissement démocratique, ou bien ceux qui ont été élus ? Le quinquennat a abouti à une Ve République bis. Il produit deux choses : de la dépendance et de l’isolement. Le président est élu en même temps que sa “tribu”. Il devient chef de bande. Dans ces conditions, la majorité procède plus, dans sa légitimité démocratique, du président que du premier ministre, qui en devient l’adjoint. C’est donc le président qui est le vrai premier ministre. D’où l’histoire de rapports impossibles entre le président et le premier ministre depuis Jacques Chirac. Dans le livre [de Davet et Lhomme – ndlr], on voit bien que le président fait tout, même relire des interviews de ministres du gouvernement avant qu’elles ne soient publiées dans un quotidien !En même temps, et c’est tout le paradoxe, le quinquennat produit de l’isolement : si toute la majorité, élue à sa traîne, dépend du président, il n’y a plus que lui qui compte. Cela fait descendre le président d’un étage et en même temps cela crée de la distance : le quinquennat a changé le rôle du président et a encore, un peu plus, déséquilibré les institutions au profit de l’exécutif, et au détriment du législatif. Cela donne un débat atrophié. C’est la démocratie peau de chagrin.Est-ce ce mélange de dépendance et d’isolement qui explique, selon vous, les phrases de François Hollande sur le « crétinisme parlementaire » ou bien sur son « pouvoir relativement absolu » qui lui permet, dit-il, d’« imposer à son camp (…) des politiques » ? On vient d’en parler ! C’est pourquoi cette réforme du quinquennat est très grave et qu’elle appelle aujourd’hui à une évolution institutionnelle. Cette correction est obligatoire. Sinon, on aura toujours des présidents qui feront plutôt des dépêches de l’AFP que de grandes visions de l’avenir du pays. Qui passeront plus de temps à surveiller le moindre communiqué de presse d’un secrétaire d’État plutôt qu’à préparer les grands enjeux internationaux. Il faut corriger cela.
Dans votre système, on ne voit pas très bien le rôle que doit jouer le chef de l’État, sauf à en faire un président à l’allemande. C’est très simple. La politique internationale fait toute la différence. La voix de la France dans le monde a existé, les Français en ont besoin et y sont absolument attachés. On peut le regretter, mais c’est ainsi que je conçois les choses. Je suis pour un président qui assume totalement cette fonction, qui ait une parole plus rare mais qui, quand il parle aux Français, donne du sens. Plus cette fonction est mal occupée, parce que le président est obligé de tout faire, dans la machinerie et dans les soutes, plus les Français sont mal à l’aise.Justement, dans « Un président ne devrait pas dire ça… », les passages qui mettent le plus mal à l’aise sont ceux relatifs à la politique étrangère, quand il parle avec Alexis Tsipras ou rapporte une conversation avec Vladimir Poutine… François Hollande serait-il compatible avec la fonction présidentielle telle que vous la concevez ?Dans mon projet, ne peut être élu que celui qui porte cette vision-là du président. Il faut réfléchir au succès d’Alain Juppé. Ce n’est pas ce qu’il propose qui séduit : ce qu’il propose est horrible ! C’est la palme d’or du film d’horreur. Mais je crois qu’il renvoie inconsciemment à la figure présidentielle que je décris. À tort ou à raison, et je pense plutôt à tort. Parce que le président dont je parle doit être plutôt en empathie avec la société, et qu’il ne va pas imposer les choses.Tout de même, partagez-vous l’analyse de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, qui juge que François Hollande a désormais un problème « d’incarnation » ? Ce n’est pas le sujet. Le sujet, ce n’est pas l’incarnation, c’est la fonction présidentielle qu’il faut corriger. François Hollande ne manque pas de procureurs. Et trop de procureurs divertit du vrai problème.Que faut-il corriger ? Cela se joue, à mon avis, sur les articles 9 et 19 de la Constitution, comme le développe à juste titre [le constitutionnaliste] Dominique Rousseau. Je ne suis pas certain que le président ait intérêt à présider le Conseil des ministres, qui est l’organe institutionnel de base de la quotidienneté. Cela devrait être le premier ministre. Mais s’il souhaitait conserver ce rôle de supervision, à tout le moins pourrait-on toucher à l’article 19. Certains actes devraient procéder du seul premier ministre.
Lesquels ?
Un certain nombre de nominations par exemple. Mais aujourd’hui, les esprits ne sont pas mûrs. On espère simplement restituer le président dans sa grandeur perdue en remettant le septennat. Cela ne changera rien ! Cela ne réglera pas le problème, identifié à l’époque, de l’alternance éventuelle : on restaure le souverain dans sa puissance perdue mais on l’entrave pendant deux, trois, quatre ans… C’est contradictoire. Et donc stupide.Par ailleurs, le problème n’est pas la durée du mandat mais la nature des pouvoirs. Je ne cherche pas à ce que le président ait moins de pouvoir. Pour rendre lisible la vie politique, il doit être concentré sur la place de la France dans le monde, et défendre trois priorités. Et non réciter le catalogue de La Redoute qu’est devenue l’élection présidentielle !Ne faut-il pas, aussi, rééquilibrer les pouvoirs ? Bien sûr ! Si vous remettez le président à l’étage auquel il doit être, il faut, parallèlement, retravailler l’articulation exécutif/législatif. Il faut la régler par le mode de scrutin, ou le 49-3.
En le supprimant ?
À part sur les questions budgétaires, le 49-3 est un outil obsolète – en tout cas dans le système dont je vous parle. Le 49-3 est un musèlement et donc un système de défiance vis-à-vis du Parlement, qui nourrit le déséquilibre du couple exécutif/législatif.Après, il y a toute la procédure de fabrique de la loi à revoir. Les décisions de l’exécutif doivent être beaucoup plus irriguées par des processus de démocratie continue : en amont de la fabrication des normes, avec des consultations véritables et, en aval, avec des procédures d’évaluation ouvertes et indépendantes.
Comment cela pourrait-il se passer pour un projet de loi ?
Il faut tout changer. Prenez un grand texte comme la loi sur le travail. Vous commencez par un débat d’orientation à l’Assemblée sur le projet du gouvernement. On ne le découvre pas dans Le Parisien, mais quand le gouvernement vient, en commission, expliquer ses grandes options sur la base d’une étude d’impact circonstanciée. À ce moment-là, la décision ne doit pas être finalisée.Ainsi, on évite à l’exécutif, dont le stylo est peut-être allé trop vite, de faire des bêtises. Et vous alertez la société avant le vote. Deux ou trois mois après, vous organisez le débat législatif. Vous pouvez alors vous passer des navettes parlementaires parce que le texte aura été bien mieux préparé. Cela existe à l’étranger, en Allemagne, en Belgique, en Suède, en Finlande…C’est très facile à faire et cela change tout. L’exécutif abandonne de fait la prétention qu’il a à avoir raison, envers et contre tout, puisqu’il présente son texte, le justifie, à un moment où tout n’est pas ficelé et où il peut encore bouger. Ce n’est plus un pouvoir tutélaire qui dit à la société “voilà comment cela va passer” ; c’est un pouvoir qui dit ce qu’il croit et ce qu’il veut, mais qui se met en débat.
En même temps, on voit bien aussi les résistances qui peuvent s’organiser, venues des politiques, de l’exécutif, mais aussi des hauts fonctionnaires. Comment expliquez-vous la force de ces résistances ?La vraie question démocratique se joue à quatre niveaux : le président de la République, les rapports gouvernement/Parlement, la démocratie continue dans l’élaboration de la loi et, enfin, la haute administration.Sur ce dernier point, malgré la réforme en cours de l’ENA, je pense que la formation des cadres supérieurs de l’État doit être profondément revue. Il faut apprendre aux futurs hauts fonctionnaires qu’ils n’ont pas toujours raison, et éviter de leur dire qu’ils sont les meilleurs. Il faut leur apprendre le service – le service de la nation, pas de l’État – et les méthodes collaboratives. La curiosité, le doute et l’esprit critique, voilà les trois valeurs qui devraient être au cœur de la formation de l’ENA et qui militeraient pour faire évoluer l’ENA vers un modèle de grande université spécialisée.Il faut également de la diversité sociologique, et par des quotas. L’économiste Jean Pisani-Ferry par exemple a proposé qu’on nomme 25 % de hauts fonctionnaires de l’État qui ne soient pas issus de la haute fonction publique. Enfin, il faut du spoil system [qui veut qu’on remplace les hauts responsables de l’administration à chaque alternance – ndlr].Vous avez remis un rapport sur la réforme des institutions au président de la République avant l’été. Oui, j’ai fait 200 à 300 propositions.
Quel retour vous a-t-il fait ?
Il n’a pas eu le temps de me faire des retours. Lors du colloque sur les institutions à l’Assemblée [organisé en octobre – ndlr], j’ai senti que le président avait envie de bouger sur la fabrique de la loi. Sur le reste, c’est très timide.Pourtant, c’est la logique globale qui est essentielle. Cela fait système : un président qui remonte à l’étage où il doit être ; un rapport Parlement/gouvernement positionné différemment, avec de vrais outils de dialogue ; une fabrique de la loi beaucoup plus ouverte ; une haute administration qui a les outils conceptuels de la démocratie continue.PAR LÉNAÏG BREDOUX ET CHRISTOPHE GUEUGNEAU