A l’occasion de l’élection présidentielle en Autriche, Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, revient sur la montée de l’extrême droite en Europe. Alors qu’avec Norbert Hofer, l’extrême droite montre sa force en Autriche à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle, Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS à l’université de Nice-Sophia Antipolis et spécialiste des partis d’extrême-droite et du phénomène populiste en Europe occidentale, explique la montée de ces forces politiques par un contexte de crises.
En Autriche, le candidat du FPÖ pourrait être élu président ; en Slovaquie, les élections législatives ont également vu une percée de l’extrême droite… Comment expliquer la montée de ces mouvements populistes et nationalistes en Europe ?
On observe actuellement une conjonction de trois phénomènes qui vient nourrir la dynamique en faveur de ces mouvements, qu’on peut rassembler sous le terme de «droite radicale». Le facteur le plus important est la crise migratoire, largement politisée par ces partis. A cela vient s’ajouter la crise économique et financière, touchant même des pays relativement prospères comme l’Autriche, qui connaît une hausse du chômage. Au-delà, tous ces mouvements sont aussi très eurosceptiques, à l’image du parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip), de la Ligue du Nord en Italie ou du Front national (FN) en France. On pourrait rajouter une quatrième dimension pour expliquer le succès de la droite radicale, à savoir l’immobilisme politique. En Autriche, ce sont les deux mêmes partis [les sociaux-démocrates du SPÖ et les conservateurs de l’ÖVP, ndlr] qui se partagent le pouvoir depuis 1945 au sein d’une grande coalition. Le FPÖ se présente aujourd’hui comme une alternative. Le SPÖ et l’ÖVP sont arrivés en quatrième et cinquième positions lors du premier tour de l’élection présidentielle, signe d’une très grande désaffection des électeurs vis-à-vis de ces partis. Dans beaucoup de systèmes comme la France, ces mouvements se nourrissent ainsi d’un mécontentement et d’une méfiance des électeurs à l’égard des politiques traditionnels. Ils prétendent incarner la volonté populaire contre les élites. Mais c’est peut-être la première fois qu’on observe vraiment une poussée concomitante de la droite radicale dans autant de pays européens. Il n’y a pas d’équivalent dans le passé. Mis à part l’Irlande, l’Espagne et le Portugal, aucun pays en Europe n’est épargné.
La campagne de dédiabolisation menée par ces partis joue-t-elle un rôle ?
On sait que ces partis sont d’autant plus capables de drainer des votes qu’ils présentent un visage plus respectable. En Autriche, le FPÖ a fait ce travail. Norbert Hofer incarne le visage présentable du parti, il est plus précautionneux sur le langage et apparaît comme plus crédible. Pour autant, on voit aussi resurgir des mouvements plus classiques d’extrême droite, beaucoup moins respectables, à l’image d’Aube dorée en Grèce ou du Jobbik hongrois, qui font une percée.
Pourquoi certains pays d’Europe sont-ils épargnés par cette montée de l’extrême droite ?
L’Espagne et le Portugal n’ont, pour l’instant, pas de partis de droite radicale moderne pour des raisons historiques. Ces deux pays ont connu des régimes autoritaires et ont aujourd’hui une culture antifasciste beaucoup plus forte. Il n’y a pas non plus de tradition d’extrême droite très implantée en Irlande. En outre, l’enjeu migratoire ne s’est pas constitué sur la scène politique de ces pays. Mais rien ne dit que dans quelques années, on ne verra pas émerger ce genre de mouvements.
Quels liens entretiennent ces différents partis entre eux ?
Ces partis ne coopèrent pas beaucoup. Les seuls vrais liens sont ceux qui se forgent au sein du Parlement européen. Mais s’ils partagent des idées communes, ils ne sont pas réunis au sein des mêmes groupes. Le FN, la Ligue du Nord ou encore le FPÖ sont regroupés au sein de l’Alliance européenne pour la liberté (AEL). Tandis que l’Ukip et l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ont formé le groupe Europe de la liberté et de la démocratie (EFD). Ils n’ont, pour l’instant, pas d’intérêt à se fédérer plus que cela et se concentrent sur leur scène nationale.
La France se dirige-t-elle vers un scénario autrichien lors de l’élection présidentielle de 2017 ?
Tous les sondages montrent que Marine Le Pen est bien placée pour être au second tour. Le chômage, la crise migratoire et les attentats forment un contexte très porteur pour la candidate. La question essentielle n’est pas tant quel score fera-t-elle – on sait qu’elle réunira au moins 20 % des voix – mais quel sera l’état de la gauche et est-ce que le candidat socialiste, qui devrait probablement être François Hollande, sera capable de remobiliser les troupes à gauche et d’éviter une fragmentation politique.