Editorial du « Monde »: Un sentiment domine au lendemain du sommet de l’eurozone, réuni dimanche 12 juillet à Bruxelles, pour sauver la Grèce de la faillite : l’amertume. Certes, Athènes reste dans la zone euro. C’est ce que voulaient François Hollande, l’Italien Matteo Renzi et vraisemblablement aussi la chancelière Angela Merkel. Mais à quel prix ? Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, qui a dû accepter des conditions impitoyables, est le grand perdant de ce sommet. Mais l’Europe n’est pas gagnante, qui sort divisée, diminuée, du dernier épisode d’une crise, celle de la dette souveraine grecque, qu’elle n’a jamais su gérer.
Le chef de la gauche radicale, Syriza, doit s’en prendre à lui-même pour l’essentiel de ses malheurs. Depuis cinq mois qu’il est au pouvoir, la situation de la Grèce n’a cessé de se dégrader. Interrompant fin juin une négociation en cours, où il sollicitait l’aide de ses dix-huit partenaires de la zone euro, il prend l’initiative d’un référendum sur des propositions encore inachevées. Il les juge inacceptables et les soumet au vote du pays. Qui dit non à 61 %.
S’ensuivent la fermeture des banques grecques, une fuite massive des capitaux et le défaut de paiement d’Athènes sur une créance due au Fonds monétaire international. Sans doute le référendum donne-t-il à M. Tsipras une assise politique plus large dans son propre pays. En revanche, et beaucoup plus qu’on ne l’imaginait, il a profondément heurté nombre de pays de la zone euro – à commencer par l’Allemagne –, pas moins démocratiques que la Grèce et qui ont eu le sentiment d’être soumis à une manière de chantage.
Zone euro totalement dysfonctionnelle
Pour concéder aux Grecs un troisième plan d’aide (de 86 milliards d’euros après les 240 dont a déjà bénéficié Athènes), ils leur ont imposé, à l’initiative de Berlin, des conditions d’une dureté telle qu’elles reviennent à placer leur économie sous tutelle ou sous protectorat des institutions européennes. Dans ce cadre, les réformes au pas de course demandées à la Grèce, pour justifiées qu’elles soient, paraissent irréalistes et irréalisables : fiscalité, retraites, code civil, justice, marché intérieur, code du travail, normes budgétaires, etc. Si tant est que le Parlement grec accepte, vendredi, ce programme, il y a peu de chances qu’Athènes arrive à s’y conformer, et il y a, en revanche, beaucoup de risques pour que, constatant l’échec, l’on se retrouve dans six mois face à une nouvelle « crise grecque ».
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La zone euro s’est divisée. D’un côté, des pays plus pauvres que la Grèce – pays baltes et Slovaquie par exemple – et qui ont accompli des réformes drastiques pour être dans l’euro : au nom de quoi leurs contribuables doivent-ils payer pour la Grèce ? De l’autre, l’Allemagne entraîne les pays les plus performants de la zone : au nom de quoi feraient-ils encore un cadeau à Athènes ? Au milieu, en terre latine, la France, l’Italie et même l’Espagne, qui redoutaient les risques politiques et stratégiques d’un « Grexit » et qui, pour l’éviter, ont dû signer l’étonnant cahier des charges imposé à Athènes.
Pris ensemble, cela donne le portrait d’une zone euro totalement dysfonctionnelle, incapable de régler la question de la dette d’un pays qui pèse moins de 2 % de la richesse du club. Faute de budget propre, faute de mécanisme rodé de règlement des conflits, elle ne consent à des transferts au profit de certains de ses membres que dans l’amertume, le psychodrame et la division. Il fut un temps où l’esprit européen rimait avec intelligence − c’était il y a longtemps.